27 août 1748 : Rameau prend acte
Instant classique – 27 août 1748… 272 ans jour pour jour. Un « acte de ballet », voici le genre de Pygmalion, œuvre de Jean-Philippe Rameau créée voici tout juste deux cent soixante-douze ans à l’Académie royale de musique. Il s’agit d’une pièce qui mélange intermèdes symphoniques, ballets et chant lyrique souvent – voire exclusivement – autour d’un sujet mythologique et en un acte. Ce style est en vogue en France au milieu du XVIIIe siècle et Rameau en est le représentant le plus illustre : il en composera huit au total.
Pygmalion est peut-être l’un des tout premiers, en tout cas dont on a les détails de la création et même le nom du librettiste, ce qui n’est pas le cas de tous les autres. Ici, Sylvain Ballot de Sauvot, avocat au Parlement de Paris dans la vie et ami de Rameau (son frère est le notaire de ce dernier), se fonde sur l’œuvre d’Antoine Houdar de la Motte, Le Triomphe des Arts, ballet de 1700 dans lequel le dramaturge introduit le personnage en s’inspirant lui-même des Métamorphoses d’Ovide. On accuse bien vite Ballot de Sauvot d’avoir dénaturé et même défiguré son modèle. Rameau, qui atteint ses soixante-cinq ans, concocte une partition somptueuse qui conduit à considérer assez largement qu’il s’agit là de son meilleur « acte de ballet » et l’un de ses principaux chefs-d’œuvre, d’ailleurs souvent repris ensuite, au moins au XVIIIe siècle. Il l’est régulièrement aujourd’hui.
Les premiers auditeurs de l’Académie royale de musique ne semblent pas avoir partagé cette appréciation très élogieuse. Pygmalion est accueilli assez fraîchement en ce jour d’été 1748. Rameau devra attendre une reprise trois ans plus tard pour connaître un triomphe mémorable qui, dira Charles Collé dans son Journal historique, a « comblé de joie le pauvre Rameau […] Il était transporté, il pleurait de joie ». On le comprend, il avait si souvent tiré le diable par la queue avant de commencer à se faire connaître avec quelque succès une quinzaine d’années auparavant.
L’argument est des plus simples et bien connu : Pygmalion est tombé amoureux d’une jolie statue. Il maudit cet Amour qui lui joue ce vilain tour, comme gémirait Orphée, le voisin mythologique ; au grand dam de Céphise qui aime le Pygmalion bien réel qu’elle voudrait serrer dans ses bras, pour l’honneur de la mythologie, comme dirait un certain Jupiter, qui n’est pas davantage de cette histoire là. Amour continue de s’amuser et donne vie à la statue qui, évidemment, tombe amoureuse de Pygmalion. Tout le monde célèbre alors l’Amour vainqueur, sauf peut-être la pauvre Céphise.
Après l’ouverture, l’œuvre commence avec une lamentation de Pygmalion (« Fatal amour »), puis se termine avec un réjouissant « Règne, Amour »… Il faudrait savoir ! Selon que vous serez d’humeur optimiste ou morose vous choisirez l’un ou l’autre et entre les deux, tout ce que vous voudrez de ce chef-d’œuvre, notamment sa très dynamique musique de ballet. Pour ma part, je préfère l’heureux air final, « Règne, Amour », ici admirablement chanté par Cyrille Dubois dans le rôle-titre, sous la direction de Christophe Rousset à la tête de ses Talens lyriques.