Simonot et les confineries
Chronique des confins (27)
Michel Simonot
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Un jour, une écriture – Le confinement porte en lui-même une intimité, une profondeur dont peuvent se saisir les écrivains et les écrivaines, notamment de théâtre et de poésie. Nous les avons sollicités, afin qu’ils offrent généreusement leurs mots, leur écriture des confins… Derrière l’humour qui inonde les réseaux sociaux, il y aura toujours besoin d’une parole qui porte un désir, une attente, un espoir, du sens.
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Au dernier épisode, si je m’en souviens encore, je m’en étais demeuré à l’entrée d’une impasse. Coincé, en quelque sorte – mais que je m’en sorte était bien le problème – dans les confins d’un désert aux horizons illusoires. Quelque peu bétonnés.
Ce sort, vous en souvient-il, m’en avait été jeté par un entourage psychanalytique. J’avais retenu de ses propos – sinon anciens, en tous cas peu récents –, qu’un désert n’est – horreur – jamais qu’une clôture. Croyez-moi ou non, j’en ai, alors, perdu, pour quelques nuits, le peu de sommeil que, par prudence, j’avais dissimulé. (Mais où ?)
Et puis, voilà que, par une nuit d’errance abêtie de sommeil, le sort, toujours lui, m’a fait rencontrer ce même susdit entourage. Un humain familial, se découvrit-il. Nous nous trouvions au milieu d’un pont obscur. Dans ma demi-conscience ensommeillée, je lui dressai une face muette légèrement agressive. Désarmant, son sourire me demanda si je me portais bien, si le confinement ne m’était pas pesant, si je profitais bien de ma promenade nocturne, si ma famille n’était pas covidée, si mon prochain chef-d’œuvre s’achevait. Tant d’amabilité, attentionnée, affable, après la violence que ses anciennes assertions désertiques m’avaient assénée, m’étira les lèvres, à mon grand étonnement, vers un sourire soudainement détendu. « T’en souviens-t-il, lui dis-je, de tes propos sur le désert qui m’assénèrent que, loin d’être une étendue ouverte à la liberté infinie, le désert n’est que l’illusion d’un espace ouvert à l’imagination ? T’es-tu rendu compte du désenchantement dans lequel tu me confinas ? »
Malgré la nocturne pénombre, je ne pus pas ne pas voir sous l’élévation de ses sourcils, devant l’écarquillement de ses yeux, une sincère incompréhension. Étonné par son étonnement, je réitérai la question, légèrement reformulée : « Te souviens-t-il d’avoir, ainsi, dressé un terme brutal à ma si féconde inspiration ? » D’un sautillement impromptu, il s’écarta légèrement, me laissant une ouverture : « Où donc vois-tu ici un terme, un obstacle ? Il te suffit de continuer ton chemin. Simplement, choisis-en le sens. » Il marcha puis se retourna et lâcha : « Tu n’as rien compris. Il n’y a de clôture que s’il n’existe aucune faille, aucun passage. À toi d’en imaginer. Qui c’est qui est l’écrivain ? »
Assis sur le parapet, coi, je m’en revins, allez-savoir pourquoi, à la demande d’écrire sur les confins du confinement. Et comme le disait chaque soir Raymond Souplex à Jeanne Sourza sur leur banc, je me murmurai : « Mais c’est bien sûr. » Et une colère sourde (la colère rend-elle sourd ?) me contracta la cervelle en la question suivante : mais qui donc m’enferme dans cette obligation stupide de me complaire d’écriture sur le confinement, l’enfermement, la répétition mortifère du quotidien, la complaisance esthétisée du poète empêché ? Alors, je franchis, soudain, un pas dans la colère rageuse : pourquoi, sous prétexte de covid, nous assomme-t-on, de radios en journaux, de sommations à lire et relire les célébrations de toute peste, à admirer la poussée des bubons, à voir couler le suc de chancres mous ? Non d’une pipe – la véritable – ne sommes-nous pas des écrivains, des poètes, qui travaillons à projeter la langue en avant, à faire éclore l’écriture ? Mais qu’est-ce donc que cette glue qu’on nous colle aux semelles et à la plume ?
Alors je me lève et marche d’un pas pressé vers l’autre côté du pont.
Et voilà que j’apprends, soudain, que les festivals sont annulés. Malheur de malheur. Alors j’entends les infinis programmes de réécoute de toutes choses déjà enregistrées, figées. Finies. Achevées. De nouveau la sensation d’impasse. Alors, je m’entends pousser ce cri : peste soit des bubons et des chancres ! Puisque nous créons, faisons de la contrainte un motif, une motivation, un coup de pied au cul pour inventer des formes nouvelles qui nous projettent vers l’avenir. Précisément parce qu’il est incertain. S’il était certain, qu’y aurait-il à inventer, à créer ? Les salles de spectacle sont-elles fermées ? Alors, anticipons leur réouverture, préparons-les. N’attendons pas que les mouches étouffent nos bouches ouvertes. Le covid est déjà là pour ça. Que les artistes de toutes disciplines et les institutions, celles qui ont des moyens matériels, humains et financiers, travaillent à produire de l’inédit. Pour que demain, l’ouverture des salles ne soit pas qu’une simple réouverture. Que l’art, la pensée aient fait un pas, plusieurs pas en avant, mais, surtout, de côté. À bas les murs et les confins.
Sociologue et dramaturge
Crédits photographiques : Maïlys Gelin / Profession Spectacle
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