La Chambre d’eau : résidences multiples et citoyennes sur les plateaux du Nord
Implantée dans un ancien moulin au Favril (Hauts-de-France), l’association La Chambre d’eau œuvre depuis plus de quinze ans pour développer des projets artistiques. L’importante synergie humaine et la diversité des approches confèrent une qualité singulière à chaque initiative, dans la lignée de l’économie sociale et solidaire (ESS). Plus connue pour ses résidences variées, l’association assure aussi des accompagnements de projets.
L’ancrage revendiqué dans le territoire ne l’empêche pas d’avoir une visibilité nationale et participe d’une solidarité tournée vers la création.
Le processus artistique au cœur de l’entreprise
Les artistes n’ont pas vocation à se couper du reste du monde mais à plonger en son sein. La dernière résidence accomplie par La Chambre d’eau en témoigne, avec un travail réalisé par une photographe dans la multinationale de la West Parmaceutical Services du Nouvion-en-Thiérache. Le but était « de mettre le processus artistique en relation avec un secteur assez éloigné », explique Vincent Dumesnil, co-directeur de l’association avec Benoît Ménéboo, « mais aussi d’interroger l’identité au travail dans une entreprise où les employés ne se rencontrent pas beaucoup et ne se connaissent pas vraiment. Donc il y a aussi l’idée de créer du lien entre les gens », selon un concept qui n’est pas sans rappeler les résidences PACT(e) récemment mises en place par Le Carreau du Temple.
L’objectif a saisi les employés dans une même tenue de travail, revêtue également par les cadres, et les a aussi suivis dans leur vie privée, car « pour certains on sent vraiment que leur vie est ailleurs ». Né d’une rencontre entre une administratrice de l’association et l’entreprise, ce projet a bénéficié d’un financement dans le cadre du programme européen « Leader » pour les territoires ruraux. Le mécénat privé est également une ressource développée depuis deux ans par la Chambre d’eau.
Une association au service des projets
Cet exemple, qui a conduit l’équipe de la Chambre d’eau à solliciter une photographe ayant une capacité relationnelle et une aptitude à travailler le portrait, est assez isolé. Dans la plupart des cas, l’association accompagne les artistes qui arrivent avec leur désir de projet. Les résidences répondent à cette volonté d’aider à concrétiser des projets artistiques. Qu’ils naissent « d’une question, d’un processus artistique ou d’une envie », l’association « va créer des relations avec le territoire et ses habitants » pour porter le projet.
La mobilisation vient donc « plus de la démarche artistique que l’inverse », puisque « c’est la recherche des artistes qui nous amène à aller rencontrer des publics auxquels on n’aurait pas forcément pensé », détaille Vincent Dumesnil. Il arrive aussi que « la connaissance fine que l’association a du territoire » permette aux artistes d’affiner voire de trouver le sujet de leur travail.
Ce fut le cas d’une vidéaste, Sophie-Charlotte Gautier, et d’Anne Loubet, photographe originaire de Marseille, qui « avaient perçu ici une lumière particulière et un maillage singulier dans les relations humaines », sans avoir pour autant d’idée précise sur le projet à mener. Lors de plusieurs laboratoires de courte durée à La Chambre d’eau, leur idée a pu prendre forme et le court-métrage Brame gagner des prix en festivals quelque temps après. Le synopsis s’attache à une poignée d’hommes et de femmes de l’Avesnois, entre les terres, la forêt, le ciel et ses caprices. Leurs paroles interrogent alors : comment vivre sans la foi ?
Résidences multiples et citoyennes
Diffuser les œuvres à l’échelle nationale ou internationale, puisque le lieu est ouvert aux artistes étrangers, est d’ailleurs un but des résidences, pour ne pas créer pour créer. Deux résidences dites « labo » ont lieu chaque année, ouvertes à des artistes ou à des compagnies, pour leur donner le temps – une semaine exactement – de « mener à bien une réflexion sur leurs problématiques artistiques », l’hébergement étant pris en charge par la structure. Ils ont ensuite le choix de montrer publiquement leur travail ou non.
Les résidences dites « ateliers ouverts » sont plus conséquentes puisqu’elles offrent une durée de trois semaines aux artistes, pour leur permettre d’échanger régulièrement avec l’équipe et de recevoir du public, afin de leur partager leur démarche de création.
La recherche et la création sont ainsi en interaction avec le territoire Avesnois, notamment par la nécessité de s’inscrire dans ses enjeux spécifiques. Les partenaires locaux et les habitants sont alors souvent partie prenante de ces projets, « de manière bénévole, que ce soit par un apport en nature (lieu, matériel) ou humain », « mais l’association n’en fait pas une obligation », souligne Vincent Dumesnil.
La spécificité de ces résidences, en plongeant les artistes dans le terreau relationnel de la région, est surtout de ne pas les enfermer dans une tour d’ivoire.
L’ancrage d’une équipe, source de synergie collective
L’équipe de La Chambre d’eau compte actuellement « sept employés, dont 3,5 équivalents temps plein, en CDI », et « aucun emploi aidé, depuis un bon bout de temps », précise fièrement Vincent Dumesnil. Onze personnes, dont les deux membres fondateurs, forment le conseil d’administration « qui s’est constitué au fur et à mesure des actions ».
« Autour, il y a une cinquantaine de membres actifs qui se mobilisent sur les événements au long cours », parmi lesquels des agriculteurs, des instituteurs ou d’autres habitants. « Notre équipe est très stable et très investie, dans la lignée de notre politique d’ancrage aussi. Les partenariats sont aussi très importants et cela participe de l’esprit ESS », ajoute le co-directeur.
Cependant, cet « esprit ESS » semble encore plus significatif dans la mobilisation collective, soutenue par des bénévoles ou de simples bonnes volontés. « Si l’on était une institution, on ne pourrait pas faire un travail aussi qualitatif, compte tenu de cette synergie humaine mobilisée autour de l’association et de l’engagement des salariés. »
C’est sans doute la force de l’association de parvenir à faire d’un projet individuel une véritable aventure humaine. « C’est incroyable ce que l’on arrive à faire. Nous menons rarement un projet seul », a conscience Vincent Dumesnil.
Pour autant, l’association est largement dépendante des subventions, puisque leur fin amènerait celle de La Chambre d’eau. Les recettes propres représentent 15 % du budget, sans compter les 30 000 euros d’évaluation d’apport en nature, sur les 200 000 euros de fonctionnement. Dans une région où il est difficile de tarifer davantage, la participation citoyenne bénévole, qui permet de maintenir une partie du fonctionnement de l’association, gagnera-t-elle sur la seule économie financière ?
Louise ALMÉRAS
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Crédits de toutes les photographies : Benoît Ménéboo