Comme un dimanche qui ne finit pas
Chronique des confins (4)
Kamal Rawas
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Un jour, une écriture – Le confinement porte en lui-même une intimité, une profondeur dont peuvent se saisir les écrivains et les écrivaines, notamment de théâtre et de poésie. Nous les avons sollicités, afin qu’ils offrent généreusement leurs mots, leur écriture des confins… Derrière l’humour qui inonde les réseaux sociaux, il y aura toujours besoin d’une parole qui porte un désir, une attente, un espoir, du sens.
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Comme un dimanche qui ne finit pas.
Comme un dimanche d’élections importantes.
Comme ces jours qui ont suivi les attentats.
Une sensation de déjà vu. Une sensation de déjà ressenti.
Pas exactement la même chose pourtant, mais un besoin de trouver des points communs, des souvenirs repères.
Les points communs d’abord.
Un dimanche qui s’étire en longueur, en langueur, qu’on occupe un peu différemment des autres dimanches, dans l’attente des résultats. Du décompte. Les gens atteints. Les gens guéris. Les gens hospitalisés. Et les gens qui sont morts.
Puis on affine les résultats, les tranches d’âge, les régions.
Comme pour une élection. Les battus, ceux qui sont en ballottage et les élus. Puis on affine suivant les partis, les tranches d’âge, les régions.
L’excitation. Celle qui monte juste avant l’annonce des résultats de 20h. Et celle qui précède les chiffres du jour, avec en tête ceux de la veille. Une excitation triste, sans larmes, pour l’instant, mais redoutées.
Les points communs après Charlie et le Bataclan, outre le décompte des victimes, c’est ce temps suspendu, incrédule, nécessaire pour comprendre et continuer à faire société. Là aussi tristesse, mais tristesse fulgurante.
Et les différences.
Ce dimanche se répète, s’étire, comme ce qu’on appelle en mathématique une suite non bornée. Combien de temps ce dimanche va-t-il durer ? Toutes les rumeurs circulent : quinze jours, six semaines, six mois, un an et demi. Dans sa chronique du confinement, Wajdi Mouawad raconte que cela lui rappelle le temps où la guerre du Liban a commencé. À l’enfant qu’il était, on avait dit que cela allait durer deux mois, ça a duré dix-neuf ans.
Il y a quelque chose de cet ordre-là.
Et puisqu’il ne finit pas, on ne se retrouve pas pour se prendre dans les bras, on peut juste se donner rendez-vous pour après.
Après.
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Mais en attendant ?
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J’ai la chance d’être à la campagne, je peux sortir de mon jardin et marcher dans les vignes. J’ai une attestation en poche. Il fait beau. Le confinement s’est parfaitement accordé avec la météo. Depuis qu’on est confinés, il fait un temps splendide, et visiblement c’est parti pour un petit moment. Je n’ai jamais vu autant de gens se promener, courir. Seul, à deux, trois ou quatre. On se salue de loin, on s’arrête à distance pour échanger. Tout semble flotter, flottant. Un peu l’idée que je me fais de la période de la drôle de guerre. Tout le monde attendait, écoutait ou pas les rumeurs colportées par les journaux sur les errements d’Hitler, la supériorité de nos armées, de nos équipements, qu’ils y viennent les boches, on a de quoi les recevoir ! et la vie continuait plus ou moins comme si tout était normal. Avec quelque chose qui flottait dans l’air.
Je marche dans les vignes, un tracteur est en train de broyer les sarments de vigne. C’est une vigne bio. Les vignes bio côtoient les autres. Sol vert d’un côté, beige de l’autre.
Donc Hitler allait perdre, c’était clair. Maurice Chevalier chantait Ça fait excellents Français. Et puis en quelques jours, les Allemands envahissaient la Belgique, passaient à Sedan, entraient à Paris et prenaient leurs quartiers.
Sommes-nous dans la période de la drôle d’épidémie ? Le virus va-t-il prendre ses quartiers ?
Ou est-ce que tout cela sera bientôt un drôle de souvenir ? un souvenir partagé par une bonne partie de la planète.
Sauf les pays du Sud. Pour une fois. Pour une fois, ce sont eux les spectateurs de la catastrophe. Qu’ils le restent !
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Organiser ce drôle de temps.
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Quoi faire de tout ce temps ? Faire comme si. Organiser. Planifier. Le travail des enfants. Les repas. Les réserves de nourritures. Comme pour une longue traversée. Pour aller le moins possible faire les courses. Vérifier les dates de péremption. Équilibrer les repas.
S’apercevoir qu’il manque de papier pour l’imprimante. Rechercher toutes les feuilles imprimées d’un seul côté.
Soudain précieuses.
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Comme pour une longue traversée.
Kamal RAWAS
Comédien et auteur
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Très beau texte… qui traduit bien cette drôle de sensation qui nous reste en bouche… ce petit poids qui s’est accroché à notre coeur depuis que ce dimanche infini a pris ses aises dans nos vies.