Coronavirus : le monde du spectacle au bord de la crise de nerf
Après l’annonce par le gouvernement de la limitation des rassemblements en lieu clos comme en extérieur à 1 000 personnes, l’étau se resserre dramatiquement pour le spectacle vivant, en plein désarroi. Un appel à la mise en place d’un fonds d’urgence fait l’unanimité. État des lieux général après la prise de parole télévisée et enregistrée à l’Élysée d’Emmanuel Macron, hier soir.
Publié le 12 mars 2020 – Actualisé le 13 mars 2020 à 14h30
Mise à jour à 14h30 – Les rassemblements sont désormais interdits au-delà de 100 personnes, un arrêté en ce sens doit être signé « très rapidement ». C’est ce qu’a annoncé le Premier ministre, Édouard Philippe, lors du JT de 13h sur TF1, vendredi 13 mars.
Déjà au bord du gouffre, le spectacle vivant est contaminé à grande vitesse par le coronavirus. Une multitude de théâtres et de cinémas vont devoir à leur tour fermer leurs portes dans toute la France. Cette mesure menace la survie des petites structures et constitue un désastre pour l’ensemble des professionnels du secteur. Les intermittents ont un genou à terre. Emmanuel Macron a promis des mesures fortes de soutien économique.
Le point sur une situation qui s’aggrave
Déjà largement fragilisé par les crises successives des gilets jaunes et des grèves contre la réforme des retraites, le monde du spectacle vivant est de plus en plus secoué par celle du coronavirus. Dès le 29 février, le ministre de la Santé Olivier Véran a ainsi déclaré interdit « la tenue de rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieux confinés jusqu’à nouvel ordre ». Ce nombre correspondait au seuil à partir duquel un événement doit être déclaré en préfecture. Cette décision est officialisée par un décret promulgué le 4 mars 2020 pour une application dès le lendemain, précisant que celle-ci est effective jusqu’au 31 mai.
Les Arénas et Zéniths de France sont alors en première ligne ; les reports et annulations pleuvent. PRODISS, syndicat national du spectacle musical et de variété, s’inquiète de la situation et estime la chute de la vente de billets à 50 %, « supérieure à celle des attentats de 2015 ». Mais le samedi 7 mars, un nouvel arrêté réduit la période de l’interdiction en lui conférant sa fin au 15 avril 2020, créant la confusion et suscitant l’incrédulité des organisateurs de concerts et festivals. En effet, des salles comme l’AccorHotels Arena ont déjà reporté toutes ses dates jusque fin mai et des tournées comme celle de Mathieu Chédid, ayant aussi lieu en mai, ont été repoussées à l’automne 2020.
Finalement, ce sont des mesures encore plus drastiques qui sont prises le dimanche 8 mars : est désormais interdit tout rassemblement de plus de 1 000 personnes en lieu clos ou non. Cette décision est guidée par les autorités sanitaires et scientifiques dans le but de freiner la propagation du virus et de lisser dans le temps le pic de l’épidémie, afin d’éviter notamment la saturation des hôpitaux. Le spectre du nombre de salles concernées s’élargit à plusieurs centaines et concerne désormais des lieux comme le théâtre Mogador (1 600 places), le Châtelet (2 000 places) ou la salle Pleyel (2 500 places), et une vingtaine d’opéras dans toute la France dont l’opéra Bastille.
Localement, des restrictions draconiennes ont déjà cours, avec des interdictions pures et simples d’événements de plus de 50 personnes. Elles correspondent aux zones constituant des regroupements de cas, où le virus circule activement. C’est la situation dans laquelle se trouvent des départements comme l’Oise ou le Haut-Rhin et plus récemment la collectivité territoriale de Corse ou encore dix-neuf communes de l’agglomération de Montpellier.
L’écosystème du spectacle tire la sonnette d’alarme
Le monde artistique et culturel tente de faire face, en faisant parfois preuve d’ingéniosité. Le groupe de rock Nada Surf, qui affichait complet à La Cigale pour le 11 mars, a décidé d’organiser deux concerts, l’un à 19h, l’autre à 21h15, afin de maintenir leur date et rester ainsi dans les clous du nombre maximum de spectateurs autorisés. Van Morrison en a fait de même à l’Olympia la veille. D’autres lieux ont choisi de limiter la jauge, comme c’est le cas de l’auditorium de Radio France, mais certains se refusent à faire le tri parmi les spectateurs ayant déjà réservé leur billet, comme pour la salle Pierre Boulez à la Philharmonie de Paris (2 400 places). Les événements y sont donc annulés jusqu’au 22 mars pour le moment.
Dominique Revert, co-gérant d’Alias Production et tourneur de Nada Surf prévient : « La solution qui consiste à scinder le public en deux n’est pas viable, pas même à court terme. Cette décision a été prise dans l’urgence et ne sera réitérée que la semaine prochaine, pour Maceo Parker au Stereolux de Nantes. » Inquiet de la situation, il nous confie : « C’est un enfer ! On est une PME indépendante et on bosse comme des malades sur les reports ! Toute la trésorerie est à revoir et les mois à venir vont être très chauds… » Il appréhende un arrêt total de son activité pour une période significative et espère déjà des jours meilleurs. « Pendant ce temps-là, les maisons de disques rigolent, elles. Les gens restent chez eux et le streaming a fait un bon ! »
Les petites et moyennes salles de moins de 1 000 places, même non concernées par une quelconque mesure de restriction, pâtissent également de ce que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) a officiellement nommé pandémie le mercredi 11 mars. « J’étais à un concert à Grenoble mardi soir, la salle, de 750 places, affichait complet. 156 personnes ne sont pas venues, raconte Dominique Revert, stupéfait. J’ai discuté avec un Monsieur : il avait deux places mais sa femme a préféré ne pas venir à cause du coronavirus. » Cette réalité est pour le moment très disparate. « Quand c’est rock’n’roll, les ‘‘no-show’’ sont moindres. Mais dès que c’est un peu plus, disons, posé… » Il s’agit pourtant là de spectateurs ayant déjà payé leur place et qui ne sont pas susceptibles d’être remboursés. S’il n’existe pas encore de données chiffrées à ce stade, il y a fort à parier que les baisses d’affluence, dues à un réflexe individuel de ne pas se rendre dans une salle de spectacle, sont substantielles pour nombre d’entre elles.
Appels multiples à un fonds d’urgence
Dans ce contexte alarmant, les appels à la mise en place rapide d’un fonds d’urgence se multiplient. Ils émanent de collectifs, de syndicats de tout bord et de l’ensemble du tissu professionnel. S’ils se refusent à une quelconque contestation des décisions gouvernementales et se montrent responsables et solidaires face aux enjeux de santé publique, ils espèrent une réaction rapide, à la hauteur du choc subi.
« Les mesures prises jusqu’à présent par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, sont bienvenues mais ne suffiront pas, annonce Philippe Chapelon, délégué général du SNES (Syndicat national des entrepreneurs de spectacles). Le monde du spectacle vivant, c’est environ 20 000 entreprises et essentiellement des petites entreprises. On demande au gouvernement la mise en place d’un fonds d’urgence et on souhaite que le spectacle continue. On est dans un système de château de cartes où les choses sont en train de se détruire les unes après les autres. Il faut aussi mettre des mesures en place pour les intermittents : ils sont dans une situation catastrophique ! »
L’angoisse est palpable parmi ces derniers. Pour beaucoup d’entre eux, le risque de ne pas réaliser leurs 507 heures et de se retrouver sans droit au chômage est plus que jamais tangible.
Une pétition en ligne, ayant dépassé la barre de 18 000 signatures, alerte les autorités sur leurs peurs et appelle ni plus ni moins à « un sauvetage de leur statut » – qui n’est d’ailleurs pas tant un statut qu’un régime spécifique d’assurance chômage, rappelons-le. La CGT Spectacle a quant à elle relayé l’appel à un fonds d’urgence et réclame « une modification temporaire des décrets sur l’assurance chômage ». Elle a appelé à une action le 12 mars à midi devant le ministère de la Culture à Paris (dans lequel ne se trouve pas son ministre, Franck Riester, testé positif au coronavirus le 9 mars et mis en quarantaine) ainsi que devant toutes les DRAC de France.
Depuis le début de la semaine, la crainte d’un scénario à l’italienne est sur toutes les lèvres et Emmanuel Macron a estimé mardi soir, à l’issu d’une réunion en visioconférence avec les dirigeants de l’Union Européenne, qu’il n’était pas « à exclure ». « Le plus dur est devant nous », a déclaré le professeur Jean-François Delfraissy, président du comité national d’éthique, au micro de France Inter.
Le 12 mars 2020, l’allocution solennelle d’Emmanuel Macron inaugure une nouvelle étape dans l’épreuve collective. Il s’est porté garant d’une mobilisation générale sur le plan économique et a promis des réponses rapides, exceptionnelles et massives, « quoiqu’il en coûte ».
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