La religion : un concept inscrit au cœur de tout festival
Le festival est comme une religion pour les fidèles qui y viennent chaque année en « pèlerinage » pour former une communauté affectuelle, un peuple passionné, et pratiquer ainsi leurs rites selon une esthétique, une temporalité et un lieu précis. Explications.
Communautés affectuelles en festivals 2/5
Aujourd’hui administratrice adjointe de SOUKMACHINES, Mathilde Viot a achevé en 2018 une thèse professionnelle, dirigée par Dominique Bourgeon-Renault (Burgundy School of Business / MECIC), sur le thème : « L’impact des communautés affectuelles sur le développement des festivals ». Elle propose une synthèse de ses recherches dans une série de cinq articles publiés en exclusivité dans Profession Spectacle.
.
Les communautés festivalières sont uniques dans leur organisation. Elles rappellent fortement les tribus de Michel Maffesoli, ou communautés affectuelles.
Il est important de dresser un « schéma » des principaux concepts qui animent et organisent les communautés affectuelles festivalières : la religion, l’apparence (à travers des coutumes et des symboles), la temporalité (à travers l’aspect éphémère et cyclique de l’événement) et le lieu (dont l’importance dans l’affect est considérable).
La religion au centre du regroupement communautaire festif
La religion, représentée par la thématique particulière du festival et au centre de sa programmation, est un concept fondamental pour comprendre le regroupement festif. C’est elle qui fédère et qui permet le partage. Sans religion ou passion partagée et identifiée, le festival ne peut pas permettre à son public de se rassembler.
Avant toute chose, il faut préciser que nous utilisons le terme « religion » dans son sens sociologique et étymologique. Il existe deux sources étymologiques du mot religion : relegere (cueillir, rassembler) et religare (lier, relier). Ces deux sources sémantiques se croisent. Il faut voir la religion comme une réalité pour laquelle on se recueille et qui crée du lien social puisqu’elle est partagée. Il faut, pour comprendre de quoi on veut parler ici, diluer l’objet « religion » et lui faire perdre toute spécificité.
La religion consiste en une sociabilité communautaire et intergénérationnelle visant à la communion et à la transmission et de codes, de valeurs, de référents et de comportements se manifestant aussi bien dans un espace collectif (lieu de culte, rue…) que dans la sphère privée (en famille, entre amis).
La thématique culturelle au centre de la programmation du festival devient alors religion : c’est ce qui marque le lien entre les différents membres de la communauté festivalière, c’est la passion partagée. Le festival prend presque la forme d’un « pèlerinage », attendu et effectué chaque année, regroupant tous les « fidèles ». C’est cela qui force le rassemblement festif. Il n’y a aucun but à atteindre, aucun projet économique, social ou politique.
La religion comprise comme le partage de la passion, devient la matrice de toute vie sociale. Elle repose essentiellement sur le fait qu’il y a masse, peuple. C’est en cela aussi que le terme est intéressant à poser dans le cas des festivals, puisque la communauté est représentée par la foule.
Les communautés affectuelles et la notion d’apparence
L’esthétique est très importante pour les tribus : Michel Maffesoli n’hésite pas à parler, dans Le Temps des Tribus (1988), de « l’aura esthétique » qui structure ces communautés. L’esthétique, ou théorie du beau, se veut science normative, aux côtés de la logique (concept du vrai) et de la morale (concept du bien).
La communauté affectuelle ne se structure pas dans un but en soi ; elle ne dépend ni de la logique, ni de la morale. Il s’agit d’une communauté fondée sur le partage de la passion, du vécu, des sens. Elle relève donc totalement de l’esthétique.
Les communs se posent en « soudeurs » de la communauté affectuelle : c’est ce qui fait qu’elle peut perdurer même si elle s’essouffle. Aussi longtemps que ces « communs » sont (ré)activés, déclinés sous une forme ou sous une autre, les collectifs qui se soudent à partir d’eux ne disparaissent pas. Dans le cas des festivals, il est en effet intéressant de voir que ce qui marque la communauté réside dans l’utilisation de codes relevant de l’apparence.
Les bracelets donnés à l’entrée des festivals représentent bien ces « codes » utilisés par la communauté festivalière. En effet, la plupart des festivaliers continuent de le porter en dehors de la période festivalière, en guise de « souvenir », mais aussi comme un indice facilement repérable par les autres membres de la communauté, voire même par les personnes extérieures à cette communauté afin de marquer une certaine identité.
L’apparence devient le vecteur d’agrégation.
C’est un moyen de se reconnaître.
Cette reconnaissance passe par la coutume, selon le philosophe et sociologue allemand Georg Simmel (1858-1918). Dans son sens étymologique (du latin consuetudo), elle désigne l’ensemble des usages communs qui permettent qu’un ensemble social se reconnaisse pour ce qu’il est.
Le rôle du masque est très important dans la construction de ces coutumes et prend une place centrale dans l’apparence. Il a entre autres fonctions celle d’intégrer la personne dans l’ensemble. Le masque inscrit la personne dans le groupe affinitaire qu’il a choisi. Il permet aux individus de s’identifier entre eux, de s’unir à d’autres.
La temporalité et le lieu au centre du lien
À l’opposé de ce qu’induit généralement cette notion, le tribalisme dont il est question dans les communautés affectuelles peut être parfaitement éphémère, puisqu’il s’organise suivant les occasions qui se présentent. Il s’épuise dans l’acte. Cette importance de l’éphémère peut notamment être expliquée par la perte de stabilité qui est constatée dans nos sociétés contemporaines. Cette particularité a pour effet d’accentuer les rituels (comme les actes reconnus parfaitement par d’autres membres du groupe) et amène également l’instauration d’un certain cycle : on attend le moment précis où la communauté sera à nouveau rassemblée pour vivre en commun. On est à la recherche, écrit Michel Maffesoli dans L’Instant éternel : le retour du tragique dans les sociétés postmodernes (2000), de « passions papillonnes, toutes choses qui se vivent d’une manière cyclique, avec d’autant plus d’intensité que l’on sait l’aspect éphémère du cycle ».
Le festival va permettre, sur un cycle donné, de fédérer sa communauté sur une courte période, tout en faisant la promesse de réitérer l’événement. C’est cela qui caractérise l’aspect éphémère et mouvant de ces communautés festivalières : elles existent et s’activent pendant la manifestation, mais peuvent disparaître le restant de l’année, voire complètement pour certains membres.
Si les communautés festivalières se sont « délocalisées » dans leur origine, il n’en reste pas moins que le lieu où se déroule la manifestation est un élément très important dans la structuration de celles-ci. On peut presque dire que cette délocalisation intensifie l’importance du lieu sur lequel se déroule l’événement : les mouvements (migrations) des festivaliers organisant leur venue n’en est que plus impressionnante.
Le terme de « pèlerinage » pour décrire la venue des festivaliers sur le lieu de l’événement est en cela intéressant : il montre bien le poids qu’a l’emplacement dans la construction de l’identité de la communauté festive. Le lieu influe beaucoup sur les regroupements : il a une importance considérable dans l’affect. Cette stabilité permet en effet une certaine perdurance dans l’effervescence de la vie quotidienne et de la fête. Le lieu du festival est ainsi central dans la construction du lien de la communauté.
Lire aussi :
1/5. Le sentiment communautaire en festivals : un phénomène en pleine expansion
En partenariat avec le MECIC / Burgundy School of Business de Dijon