Le Studio d’Asnières frappe toujours trois fois
À Asnières, dans la banlieue nord de Paris, il existe une école de théâtre pas comme les autres. Regards croisés de son co-directeur et d’une ancienne apprentie-comédienne, sur le Studio d’Asnières devenu l’ESCA, l’école qui donne toujours trois chances…
On l’avait vue lors d’une lecture en Avignon. Humble et volontaire sur la scène du Palais des papes, Coralie Russier défendait sans se démonter un texte difficile, Le Bain, de Jean-Luc Lagarce. Militante d’Act Up dans le film 120 battements par minutes, qui lui avait fait grimper les marches à Cannes, Coralie Russier porte dans son jeu une fêlure qui la rend gracieuse et forte en toutes circonstances, même les plus décalées.
Elle a été Lola, l’auto-stoppeuse libre et effrontée dans La Révolution n’est pas un dîner de gala. Ce court-métrage de Youri Tchao-Débats, un ancien étudiant de la Fémis, lui a valu en 2016 le prix d’interprétation féminine à Côté Court Pantin et Paris Courts Devants. Puis elle fut Marie, une patiente émouvante et dérangée dans Le Roi des démons du vent de Clémence Poésy, récompensée par un Talent Adami. Et bien avant encore, elle a interprété une fille acariâtre dans Une des dernières soirées de Carnaval de Carlo Goldoni, se souvient-elle ravie, de sa voix un peu rauque, éraillée.
« Les mains dans le cambouis »
Hervé Van der Meulen a non seulement été son metteur en scène sur le Goldoni mais aussi le directeur de son école, le Studio-Théâtre d’Asnières. « Un bon acteur, résume-t-il, c’est quelqu’un qui a une personnalité artistique forte, une technique et une expérience qui lui permettent de s’adapter à tout type de metteur en scène et tout type de spectacle. » Cela s’apprend « les mains dans le cambouis » ajoute-t-il, c’est-à-dire en apprentissage. L’alternance ? On imagine mal les trois coups et la perruque, plutôt l’écrou et la clé à molette !
Et pourtant… C’est cette métaphore que Hervé Van der Meulen retient pour parler de cette école atypique où le métier d’acteur est « ouvragé » comme aux belles heures du compagnonnage, où l’insertion professionnelle est inscrite au cœur des études : ce centre de formation en alternance est aujourd’hui cité comme un modèle. « Sur près de sept cents candidats, nous prenons quinze comédiens en apprentissage chaque année. Il ne faut pas se tromper car pendant trois ans, nous devrons les payer ! »
La charge salariale, raconte le co-directeur, est de 500 000 € (78 % du SMIC la dernière année de l’étudiant) pour quarante-cinq comédiens-apprentis, soit un tiers du budget de l’école. Le concours d’entrée, en trois tours, s’apparente à un recrutement professionnel. « La lecture à vue permet de juger de la technique et du phrasé, si le candidat arrive à ‘‘faire comprendre’’ Claudel, Duras ou Racine. L’entretien montre quant à lui s’il a le sens du collectif. »
Du Sud-Ouest où elle est en création avec le collectif Pris dans les Phares, Coralie Russier confirme l’importance de l’esprit de troupe. « Cette école a le don de créer des groupes humainement intéressants. Le jury est capable de refuser un bon candidat s’il ne s’accorde pas avec les autres. L’esprit de troupe est primordial. Ça nous suivra toute notre vie… Ici, nous sommes huit acteurs de la même promotion. Chaque année, nous montons un spectacle ensemble. Il est unique, écrit et crée sur un territoire unique. » Coralie avait été prise à Asnières sans contrat, « en passerelle », pendant une durée d’un an. « Je commençais à paniquer lorsque j’ai été choisie par Hervé sur le Goldoni. »
Salarié du théâtre Studio d’Asnières ou invité par une compagnie partenaire, l’apprenti-comédien apprend vite à jongler entre la scolarité et les planches ! Cette année, un Feydeau mis en scène par Zabou Breitman (théâtre de la Porte Saint-Martin), une co-production autour de Shakespeare (théâtre de Versailles) et le spectacle Rabelais (Studio d’Asnières) ont salarié des apprentis-comédiens dans leurs troupes. Mais les partenariats existent aussi avec le cinéma, via la Femis, l’école nationale supérieure de l’image et du son. Grâce à cette opportunité, Coralie Russier enchaîne les rôles au cinéma depuis sa sortie.
Un tremplin professionnel
« Les castings avec la Femis m’ont appris à me présenter, à monter ma bande-démo. Ça m’a énormément aidée, en particulier sur 120 Battements par minute. Mais surtout, j’y ai rencontré de jeunes réalisateurs qui ont fleuri ou vont fleurir. Et nous sommes toujours restés en contact. » Cinq courts-métrages en trois ans ont conduit la jeune comédienne jusqu’à Catherine Corsini (Un amour Impossible) et Quentin Dupieux (Mandibules), aux côtés des deux Adèle, Haenel et Exarchopoulos, jeunes stars du cinéma français. Un début de carrière en flèche !
L’école en alternance qui lui a appris son métier a en revanche longtemps « galéré ». Associée dès 1993 au Carré Silvia-Montfort et au théâtre de la Madeleine (l’Association des Amis du Studio), elle a connu des années de lutte contre l’Éducation nationale. Celle-ci a dû statufier sur cet ovni entre théâtre, vie professionnelle et école, avant que le premier centre de formation des apprentis-acteurs naisse enfin. Vingt-cinq ans plus tard, le Studio d’Asnières reste le premier CFA d’acteurs de France. De paria, il est devenu pionnier.
Du diplôme bac + 2 d’acteur en alternance, le Studio a obtenu l’autorisation d’un bac +3 en 2013, avant d’entrer l’année suivante dans le club très fermé des douze grandes écoles d’art dramatique de France, conventionnées par l’État, donc gratuites : le TNS de Strasbourg, le CNSAD et l’ESAD à Paris, l’ENSATT à Lyon, l’ENSAD à Montpellier, l’ERAC à Cannes, ainsi que les cinq grandes écoles liées aux centres dramatiques nationaux de Rennes, Saint-Étienne, Lille, Limoges et Bordeaux. Enfin promu école supérieure, le petit centre d’apprentissage a pu prendre à son tour son acronyme chic : ESCA – École supérieure de comédiens par alternance.
Pour tous, le lien avec l’école reste « indéfectible », raconte Coralie Russier. « Je suis même membre du jury sur le concours d’entrée pendant une journée ! » Et puis il y a les Mises en Demeures. Ce festival annuel permet aux anciens élèves, auteurs, metteurs en scènes et acteurs de revenir présenter leurs créations au Studio-Théâtre d’Asnières… comme l’écrit Tatiana Breidi, l’autre co-directrice, « sur les planches qui les ont vu accomplir leurs premiers gestes d’artistes ».
.
À voir : Rabelais, mis en scène par Hervé Van der Meulen, sera repris du 21 avril au 31 mai 2020 au Théâtre 13-Jardin à Paris @ crédit photo Miliana Bidault
.
.
Photographie de Une : ESCA 2019 – Stage théâtre de rue – compagnie Oposito
(crédits : Miliana Bidault)