Le Carreau du Temple, fer de lance de la résidence artistique en entreprise
Établissement de la ville de Paris, Le Carreau du Temple lance cette année un programme de résidences d’artistes en entreprises : PACT(e). Ce programme repose sur un partenariat tripartite réunissant une entreprise, un artiste et – évidemment – Le Carreau du Temple, qui pilote l’ensemble. D’une durée de deux à six mois en moyenne, PACT(e) vise notamment à promouvoir une démarche créatrice de lien social en interne et à croiser le regard d’un artiste avec les compétences des travailleurs.
« Lors d’une expérience précédente, à Marseille-Provence 2013 (MP 2013), qui était alors capitale européenne de la culture, nous avions mis en place une soixantaine de résidences en entreprise, ce qui avait permis d’explorer un champ assez infini d’activités économiques, de santé, d’être confrontés à toutes les formes d’innovations sociales… », se souvient Sandrina Martins, directrice générale du Carreau du Temple.
Un PACT(e) de renouveau
S’il n’est évidemment pas question de lancer d’emblée une soixantaine de résidences, Le Carreau du Temple annonce d’ores et déjà dix résidences pour l’année 2018, avec la même diversité de disciplines artistiques que celle déployée lors de MP 2013.
« Je suis absolument convaincu de l’intérêt de ce type de propositions, s’enthousiasme Sandrina Martins. Il nous paraît évident, dans ce lieu, d’inventer de nouveaux modèles, tels que PACT(e)… un pacte de renouveau, pour imaginer d’autres croisements, entre le public et le privé, les artistes et le monde de l’entreprise. »
PACT(e), c’est aussi un sigle : « Productions Artistiques : Compétences, Territoires, Entreprises ». Sandrina Martins et son équipe ont défini trois grands enjeux pour ce programme.
Premier enjeu : soutenir la création contemporaine
Le premier est celui du soutien à la création contemporaine. « C’est important pour le Carreau du Temple d’être aussi sur le terrain de l’accompagnement des artistes. » D’autant que confronter artistes et entreprises implique un croisement des savoir-faire, « des savoir-être aussi, puisque l’artiste présent au sein de l’entreprise, crée un lien particulier avec les salariés ».
Pour la vidéaste Ymane Fakhir, qui fut en résidence pendant près de huit mois dans le service de neurologie de l’hôpital de la Timone à Marseille, l’expérience vécue fut celle d’une « ombre », d’une présence discrète et bienveillante : « Le plus important pour moi était de transmettre la parole des autres, des patients comme des salariés. » Elle a notamment été marquée par la liberté qui lui fut accordée dans la réalisation de son œuvre, impression partagée par une autre vidéaste, Katia Kameli, qui vécut son insertion artistique dans une entreprise privée, Futur Telecom : « J’appuie sur cette dimension de liberté, car ce n’est généralement pas l’image qu’on a du monde de l’entreprise. »
Deux résidences ont été engagées en 2017 ; une dizaine sera prévue, chaque année, à compter de 2018. Comment se déroule la sélection ? « Il n’y a pas d’appel à candidatures, nous répond Sandrina Martins. Pour le moment, c’est nous qui allons chercher les artistes. » Si PACT(e) prétend sélectionner des artistes émergents, force est de constater que ceux sélectionnés, même les plus jeunes, ont déjà fait l’objet d’expositions plutôt prestigieuses, au Centre Pompidou ou dans d’autres institutions majeures d’Europe et du monde : la peintre Eva Nielsen, l’artiste Julien Monnerie, le lauréat du prix Marcel Duchamp 2014 Julien Pruvieux, l’acteur et metteur en scène Frédéric Ferrer, la vidéaste et réalisatrice Valérie Jouve, le metteur en scène Thibaud Croisy…
Outre une publication racontant le processus de création de chaque résidence, Le Carreau du Temple organisera, dès 2019, une biennale, afin de donner à voir les œuvres réalisées dans le cadre du PACT(e).
Deuxième enjeu : proposer un mode innovant de financements public/privé
Le Carreau du Temple est fondé sur une économie mixte, mêlant une subvention publique et d’importantes ressources propres. Le lien à l’entreprise est ici naturel, comme un dialogue nécessaire entre dynamique publique et dynamique entrepreneuriale, renforcé par toutes les activités organisées par ce lieu, dans la grande halle comme dans l’auditorium. La diversité des artistes et des entreprises sollicités se veut à l’image du Carreau du Temple, « ce lieu de tous les possibles ».
« Les entreprises attendent aujourd’hui un autre rapport avec le monde artistique, constate Sandrina Martins. Elles ont envie, au-delà du soutien sur un projet existant, de s’associer à la production artistique en y contribuant directement. » L’enjeu est ainsi de renouer avec l’esprit originel, fondateur et désintéressé, du mécénat. Le programme PACT(e) s’adresse à tout type d’entreprise, depuis les TPE jusqu’aux grands groupes, dans les secteurs privé et public.
« Pour moi, l’objectif essentiel, c’était de proposer aux salariés autre chose qu’un boulot avec des objectifs à remplir et un salaire à la fin du mois », témoigne Gilles Brunschwig, ancien directeur de Futur Télécom à Marseille, qui a accueilli Katia Kameli en 2013. En clair, « donner du sens », en multipliant les initiatives, dans le domaine de la santé comme dans celui artistique. « Je recherchais un projet dans lequel on puisse impliquer un maximum de salariés. Je n’avais pas spontanément pensé à la vidéo. Ce que j’ai apprécié avec Katia, c’est qu’elle a proposé un projet qui permettait d’inclure tous les salariés qui le souhaitaient, tout en se fondant dans l’entreprise. Pour moi, ce fut un succès. »
Troisième enjeu : privilégier un nouveau vecteur de développement des publics
Sandrina Martins étant convaincu du besoin d’aller chercher les publics là où il se trouvent, PACT(e) se veut par conséquent un programme permettant de rencontrer les salariés sur leur lieu de travail : ces derniers peuvent ainsi être sensibilisés à la création artistique, alors qu’ils en sont généralement exclus.
La biennale sera un autre lieu de rencontre entre différents publics, non seulement par l’exposition d’œuvres dans l’immense halle, mais également par des rencontres destinées, selon Sandrina Martins, à « prendre le pouls de cette question de la relation du monde de l’art et de celui de l’entreprise, du renouvellement des problématiques autour du mécénat, de parler d’économie de la culture… d’être au cœur de l’ensemble de ces enjeux. »
Crédits photographie de Une : Fernando Javier Urquijo
Toutes les autres photographies, sauf indication contraire : Pierre Gelin-Monastier