“Les Barbelés” à La Colline : une pièce assommante, pauvre et pétrie de lieux communs
Après l’excellent L’Homme hors de lui de Valère Novarina, avec un impressionnant Dominique Pinon, le Petit Théâtre de La Colline accueille une nouvelle création : Les Barbelés. À partir d’un texte assommant de la dramaturge québécoise Annick Lefebvre, Alexia Bürger assume une mise en scène pétrie de lieux communs, jusqu’au jeu convenu de la comédienne Marie-Ève Milot ; malgré son talent, cette dernière ne parvient pas à sauver un spectacle artificiel et fade.
Il est toujours délicat de critiquer négativement une pièce : la fermeté d’un jugement – par définition subjectif – a de plus en plus de mal à être digérée, dans notre société contemporaine molletonnée, à force d’être gavée de smileys rosissant et de révolutions immédiates. Mais puisque le thème de la pièce nous y invite… nous y allons.
Silence coupable et parole culpabilisante
Il n’y a plus guère que certains artistes qui, sous couvert de liberté béate, s’arrogent le droit de nous juger, de toute leur bien-pensance matraquée. Ils se pensent les grands-prêtres d’une religion universelle, d’une morale sans faille, d’un tribunal infaillible. Ce fut le cas, par exemple, dans Les Damnés d’Ivo van Hove, avec la Comédie-Française ; rebelote avec Les Barbelés d’Annick Lefebvre, mis en scène par Alexia Bürger. La première pièce avait au moins le mérite d’une esthétique admirable ; la seconde est pauvre de tout, sinon de lieux communs.
L’histoire est simple : toute personne naît avec des barbelés dans le ventre. Chaque fois que la personne s’autocensure ou refuse de prendre position, « les barbelés poussent d’une fraction de millimètres ». Et nous voici au terme de la vie d’une femme – ou d’un homme, peu importe, au bout de son souffle, à cette ultime heure qui voit les barbelés jaillir de la gorge pour distordre la bouche et étouffer le visage.
La dramaturge précise que le personnage peut être un homme, une femme ou une personne qui refuse l’une et l’autre détermination. Bien. C’est prétexte à l’écriture inclusive, grande thématique du moment. Bien. Mais dès qu’il s’agit d’accuser les parents – autre mode pénible du moment, qui en dit davantage sur les névroses des artistes actuels, incapables d’assumer leur être et leur liberté, que sur les parents eux-mêmes –, le père et la mère sont clairement bornés et étriqués, en défaveur du premier, étonnamment bien sexué dans ce monde indifférencié.
Pour évoquer ces silences coupables, Annick Lefebvre écrit un réquisitoire culpabilisant à souhait. Car il est bien évident que la parole en « je » nous vise, de manière bien peu subtile, surtout lors des vingt dernières minutes durant lesquelles l’adresse devient directe. Et vas-y que je te moralise bien le tout, à grand renfort d’évidences et de dénonciations convenues, avec ce soupçon de théâtralité qui justifie une présence sur scène. Bref, cela relève davantage de la prédication injonctive que d’une œuvre artistique – même si la dramaturge parvient à garder la beauté d’une verve populaire dans son écriture.
Une thèse mais peu de pensée
L’héroïne est, dans la présente mise en scène, une femme normale – fille, épouse et mère –, bien sous tous rapports. Elle soutient l’homosexualité, les migrants et les révoltes sans lendemain ; elle dénonce les grands méchants Donald Trump et Marine Le Pen… Une femme engagée, et pourtant coupable. En témoignent les insidieux barbelés qui ont envahi son corps.
Quels sont donc ses silences coupables ? Tout ce qu’elle n’a pas osé dire. Voici la thèse, simpliste : dès qu’on se tait, on est coupable. Tout bêtement. Inutile de rechercher une réflexion sur le discernement à avoir dans sa parole ; inutile de s’interroger sur la pertinence de parler, soit qu’on veuille soulager sa colère, soit qu’on souhaite s’exprimer de telle sorte que l’autre puisse entendre et comprendre ; inutile, même, de s’arrêter sur ce qu’est la parole, sur ce qu’elle dit, ce qu’elle fait, ce qu’elle signifie. Ces questionnements, qui posent la question de la liberté intérieure, sont probablement trop complexes. L’acte doit être politique, explicite, immédiat. Ne pas parler ou ne pas parler, telle est l’unique non-question. Quel étonnant contre-pied au subtil L’Homme hors de lui de Valère Novarina !
La mise en scène renforce cette construction en lieux communs : pourquoi mettre une femme en train d’éplucher des pamplemousses au milieu d’une… cuisine délabrée ? Pourquoi cette gestuelle répétée d’une femme qui tombe à terre ou qui grimace silencieusement ? Sans parler de la fumée qui sort soudainement du four, de ce sang qui coule d’une bouteille tandis que la femme regarde ailleurs… Tout semble évident, pauvre, comme une resucée de thématiques, d’esthétiques et de métaphores éculées.
Seuls le jeu de lumières et – parfois – l’interprétation de Marie-Ève Milot méritent d’être salués. Insuffisant, néanmoins, pour sauver une proposition qui ne satisfera probablement que le même sempiternel micro-milieu artistique, déjà fort convaincu…
Annick Lefebvre, Les Barbelés, Dramaturges Éditeurs, 2017, 60 p., 10 €
DISTRIBUTION
Mise en scène : Alexia Bürger
Texte : Annick Lefebvre
Avec : Marie-Ève Milot
Assistanat à la mise en scène : Stéphanie Capistran-Lalonde
Dramaturgie : Sara Dion
Scénographie et costumes : Geneviève Lizotte
assistée de Carol-Anne Bourgon Sicard
Lumières : Martin Labrecque
Son : Nancy Tobin
Conseil en mouvement : Anne Thériault
Effets spéciaux : Olivier Proulx
Production : Théâtre de Quat’Sous (Montréal) et La Colline (Paris)
Crédits photographiques : Simon Gosselin
Informations pratiques
- Public : à partir de 15 ans
- Durée : 1h15
- Spectacle en québécois non surtitré en français
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Spectacle créé au théâtre de La Colline, le mercredi 8 novembre 2017.
Tournée
– 8 novembre au 2 décembre 2017 : La Colline – théâtre national (Paris)
– 4-26 septembre 2018 : Théâtre de Quat’Sous (Montréal)