Danse et technologie numérique : qui sert qui ?

Danse et technologie numérique : qui sert qui ?
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Originaire de Düsseldorf, Verena Anker a étudié la médiation culturelle et la communication, puis les relations publiques aux universités de Montpellier, de Nancy d’Utrecht et de Maastricht. Après avoir travaillé dans la communication, cette danseuse amatrice se met en quête d’une forme artistique qui lie ses deux passions, la danse et les médias. Elle soumettra en octobre un doctorat sur la danse numérique à l’université de Maastricht.

Elle a publié aux éditions VDM un mémoire sur ce sujet, Digital Dance : The Effects of Interaction between New Technologies and Dance Performance.

La thèse que tu soutiendras porte sur le rapport des nouvelles technologies aux arts vivants. Dans quels domaines précis les technologies numériques ont-elles pris une place si importante que l’on ne puisse plus éviter de les utiliser ni de les considérer ?

Depuis une vingtaine d’années, le multimédia gagne en importance dans les arts du spectacle. Les nouvelles technologies y sont utilisées dans des domaines variés car elles facilitent certains processus techniques et donnent de nouvelles possibilités didactiques et esthétiques. Les nouveaux médias sont notamment de plus en plus présents dans la gestion de l’appareil scénique, mais aussi dans la transmission et la documentation. Dans le monde de la danse par exemple, un nombre croissant de chorégraphes se sert de programmes interactifs pour apprendre son vocabulaire et son style de mouvement à ses danseurs. Un fameux exemple est le projet Improvisation Technologies de William Forsythe. De plus, ils utilisent des logiciels spécialisés tels que Dance Forms qui permet de créer la chorégraphie sur un ordinateur pour l’enseigner ensuite aux danseurs. Mais les médias digitaux apparaissent aussi sur scène, sous forme de projections virtuelles réactives ou d’effets spéciaux qui peuvent être animés par les acteurs et les danseurs. Par exemple, dans la création Pixel de Mourad Merzouki, des danseurs et contorsionnistes sont en interaction avec des images synthétiques sur le plateau. C’est d’ailleurs ce dernier champ d’activités qui présente le sujet central de ma thèse.

Qu’est-ce qui t’a dirigée vers cette réflexion ? 

Je me suis rendue compte que les nouveaux médias étaient de plus en plus présents dans les productions chorégraphiques et théâtrales. Comme dans la vie quotidienne, les technologies sont à portée de main ; ainsi, un nombre toujours plus grand d’artistes a la possibilité de mener des expériences originales à l’aide de logiciels spécialisés qui permettent de nouveaux modes d’expression esthétique. Et les scènes de théâtres sont de plus en plus aptes à accueillir de telles productions car elles disposent de l’équipement technique nécessaire. Bref, les arts vivants, et la danse particulièrement, deviennent numériques. Pourtant, je perçois une ambiguïté problématique quand certains artistes, critiques et théoriciens évoquent cette relation entre la danse et les nouveaux médias : d’un côté, les technologies numériques sont accueillies avec beaucoup d’enthousiasme car elles présentent maintes possibilités artistiques ; d’un autre côté, ceux qui les utilisent craignent que la technologie prenne le pas sur la représentation des corps vivants et sur le processus de création artistique. Ils considèrent les images synthétiques, par exemple, comme des concurrents des danseurs qui se trouvent sur scène. C’est cette façon de penser la technologie, à la fois comme un outil neutre et une instance déterminante, qui m’a intriguée au départ.

De quelle manière les technologies numériques sont-elles utilisées et quels effets cela a-t-il sur les spectacles ?

L’utilisation des nouveaux médias dans les spectacles permet aux artistes de créer une nouvelle esthétique et de changer le format d’une présentation. Comme nous l’avons dit, les acteurs ou les danseurs peuvent être transférés dans des paysages virtuels ou bien interagir avec des projections numériques, par exemple des corps synthétiques. Cela peut produire des effets différents, comme une techno-esthétique, celle que l’on trouve dans les spectacles du groupe australien Chunky Move, ou des images poétiques et des mondes immersifs sur scène. En outre, l’emploi de caméras ou de visiocasques peut élargir l’espace scénique : de cette manière, il est possible d’intégrer des lieux et des actions qui se situent hors du théâtre lors de la représentation sur scène. Enfin, les nouvelles technologies permettent de nouvelles interactions avec les spectateurs. Dans certaines productions, le public peut intervenir avec un smartphone par exemple. On peut ainsi dire que les nouveaux médias modifient le champ des possibilités esthétiques et scéniques.

Qu’est-ce que cela implique pour les créateurs et les artistes ?

Les productions qui intègrent de nouveaux médias ne changent pas seulement l’esthétique sur scène, mais influencent aussi le rythme des répétitions. Elles demandent plus de temps pour la création, parce que les artistes ont besoin d’apprendre à maîtriser les logiciels en question. Souvent ils doivent même redécouvrir les outils avec lesquels ils ont déjà travaillé car les technologies évoluent et sont améliorées constamment. Aussi les créateurs, comme les chorégraphes ou les metteurs en scène, doivent-ils apprendre à gérer les logiciels ou collaborent-ils avec des artistes multimédia ou des programmeurs. Cela change le rythme ainsi que le contenu du processus créatif, car la programmation et la chorégraphie sont des procédés très différents. Il arrive souvent que les répétitions avec les danseurs doivent s’arrêter car les programmeurs ont besoin de plus de temps pour développer un effet virtuel désiré. Il faut donc toujours être prêt à négocier et à trouver des solutions pratiques. De temps à autre, ces choix influencent même la forme ou l’esthétique du résultat final !

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’utilisation des technologies numériques n’est pas neutre et elle échappe en partie à ceux qui les utilisent. Peut-on en parler comme d’un « matériau vivant » avec lequel compter ?

Certainement, la technologie n’est pas aussi neutre qu’elle est généralement perçue. Elle ne détermine pas non plus toute l’action. Au cours de mes recherches, j’ai ainsi découvert que c’est en ne fonctionnant pas de la manière désirée par les artistes que les outils amènent les créateurs à prendre des décisions imprévues. D’un autre côté, ce travail avec la technologie pousse également à modifier ou adapter la technologie même. Dans ce contexte, les technologies numériques apparaissent en effet comme un matériau vivant, dans le sens où leur essence se forme et évolue au fur et à mesure des interactions avec les autres participants artistiques. En m’appuyant sur le sociologue Bruno Latour, je suggère donc que la technologie se présente comme un acteur non-humain qui contribue à la création artistique en influençant et en s’adaptant aux autres participants du processus créatif.

Propos recueillis par Matthieu de GUILLEBON

 



Photographie de Une – Pixel de Mourad Merzouki (crédits : Laurent Philippe)
Portrait de Verena Anker (crédits : Sven Evertz)



 

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