Prix Collidram : les collégiens face aux textes et aux auteurs de théâtre
Le soleil a envahi la capitale française. Anne Marenco et Pascale Grillandini, lunettes fumées sur le visage, me reçoivent à la terrasse d’un café bordé par une avenue assourdissante. Fondatrices de l’association Postures et du prix Collidram, qui sera remis aujourd’hui à Niort au dramaturge Michel Simonot, elles reviennent sur cette aventure dramaturgique, qui permet aux collégiens de se confronter aux textes et aux auteurs de théâtre. Rencontre.
De cigarette en cigarette, de souvenirs en anecdotes, la parole devient progressivement enthousiaste. À l’origine, Anne Marenco et Pascale Grillandini travaillaient pour l’association « Aux Nouvelles Écritures Théâtrales » (Aneth) : Pascale était permanente de l’association quand Anne était membre du comité de lecture.
De trois à une centaine de classes en dix ans
Au sein de cette association, Pascale fonde en 2006 le prix Collidram, prix de littérature dramatique décerné par les collégiens. Au commencement, trois classes d’Île-de-France se prêtent au jeu, mais les coupes budgétaires entraînent la suppression de ces initiatives. Pascale décide alors de fonder Postures, aussitôt rejointe par Anne, avec le soutien de la Drac Île-de-France. Aujourd’hui, près d’une centaine de classes participent à leurs actions, dont trente-cinq pour le seul prix Collidram.
Depuis, deux autres prix ont vu le jour : InédiThéâtre (prix lycéen de pièces inédites) et Inédits d’Afrique et Outremer (prix lycéen de pièces francophones). Les deux pièces lauréates gagnent d’être éditées chez Lansman, en Belgique, avec une résidence à la clef pour le vainqueur des Inédits d’Afrique et Outremer.
Quatre textes sélectionnés
La participation au prix Collidram est tantôt le fait d’un professeur qui en a entendu parler, tantôt celui d’une Drac, voire d’un département qui voit dans cette initiative la possibilité d’une action culturelle et artistique de dimension nationale. À la rentrée prochaine, trois nouvelles régions ont d’ores et déjà fait savoir qu’elles participeraient au prix : la Bretagne, la Réunion et la Corse.
En septembre, quatre textes édités sont sélectionnés par un comité de lecture mis en place par l’association Postures avec les lieux culturels (théâtres et bibliothèques partenaires) et les intervenants. Six séances sont ensuite organisées dans chaque classe : « Ce module de base peut varier selon les besoins et les envies, nuance Pascale Grillandini. Il comprend deux séances sur les textes, guidées par des professionnels du spectacle vivant, une rencontre avec l’auteur, ainsi que les séances de délibération, au sein de la classe puis avec l’ensemble des délégués à la SACD. »
La délibération finale a lieu au début du mois de mai : le lauréat est celui qui réunit le maximum d’arguments positifs pour sa pièce. « Nous assistons à des débats passionnants, s’enthousiasme Anne Marenco. Parfois, le choix est clair, comme ce fut le cas cette année avec Delta Charlie Delta de Michel Simonot ; d’autres années, les avis sont très partagés. »
« Il serait temps de prendre les jeunes au sérieux ! »
« Comme intervenante dans les classes, je pars toujours de la lecture que les jeunes ont faite de la pièce, explique Anne Marenco. Nous interrogeons le texte de la même manière qu’une équipe de création se met autour de la table pour dégager les fils à tirer, les lignes de force, les chemins de traverse, les enjeux humains et artistiques… »
La mise en commun nourrit également les jeunes, car les zones géographiques et les milieux sociaux sont très différents : certains arguments se recoupent inévitablement, mais d’autres apportent l’une ou l’autre nuance qui enrichit la discussion collective. Ils sont d’ordre intellectuel, linguistique, humain, sensible, affectif, esthétique… « Je me souviendrai toujours de cette fille qui, lors d’une délibération, a pris le texte et l’a lu en disant : voilà mon argument ! Son argument, c’était son envie pressante de pouvoir le dire, le déclamer, le proférer oralement », se remémore Pascale Grillandini avec un sourire.
Avant d’avoir l’agrément « éducation nationale », l’association avait celui « jeunesse et éducation populaire. « Nous tenons à ce premier agrément, car nous laissons les choses venir des jeunes eux-mêmes. Les analyses dramaturgiques des textes viennent d’eux, à parti d’outils qu’on leur donne. Il serait temps de prendre les jeunes au sérieux ! Ils sont capables de faire des choix étonnants et des critiques particulièrement pertinentes. »
Une rencontre atypique, ouverte à l’inattendu
L’année s’achève par la remise du prix – aujourd’hui au Moulin du Roc, scène nationale de Niort – et par la rencontre de chaque classe avec son auteur, quel que soit le lauréat final. « Les collégiens choisissent très souvent des textes qui ne sont pas dans des collections jeunesse, constate Anne Marenco. Ce fut par exemple le cas pour Au bois de Claudine Galea, ou encore pour la pièce de Michel Simonot. »
Les auteurs sont ainsi confrontés directement à un public qu’ils ne rencontrent pas si souvent habituellement, tant lors des séances au cours de l’année qu’à l’issue de la délibération finale. Il n’est pas rare que les dramaturges soient eux-mêmes surpris de rencontrer dans ces jeunes de véritables connaisseurs de leur texte, jusque dans ses subtilités.
« J’étais persuadé que jamais des adolescents ne s’approprieraient mon texte, mais c’est tout le contraire qui s’est passé, confirme Michel Simonot. Ce fut pour moi un choc. Les rencontres, les échanges avec les élèves sont des expériences très fortes, que j’ai rarement vécues. Échanger avec des jeunes de onze à quinze ans qui ont lu, travaillé, joué le texte avec le livre, l’objet-livre, dans les mains est quelque chose d’intense, d’exceptionnel. Ils ont fait preuve d’une maturité que je n’imaginais pas, s’emparant de la complexité des choses avec un plaisir et une curiosité profonde. » En somme, une rencontre ouverte à l’inattendu, de part et d’autre.
« L’intelligence n’est pas qu’une construction purement intellectuelle et personnelle, conclut Anne Marenco. Dans le théâtre elle prend en compte la sensibilité, la respiration propre, une forme d’intimité autre. Avec le prix Collidram, cette intelligence devient par ailleurs collective. Il y a un appel presque charnel dans la relation au texte, qui est une matière physique : la parole dramaturgique engage le jeune plus qu’on ne le pense. »
Pierre GELIN-MONASTIER
À noter dans vos agendas : vendredi 21 juillet à 17h à la Maison Jean-Vilar !
Dans le cadre du festival d’Avignon, Pierre Gelin-Monastier, rédacteur en chef de Profession Spectacle, animera un débat sur l’écriture dramaturgique et le jeune public, qui rassemblera le dramaturge Michel Simonot, Pascale Grillandini, fondatrice de l’association Postures qui organise le prix Collidram, et Sabine Chevallier, directrice des éditions Espaces 34.