Interview. Léonor Serraille privilégie la femme « borderline »
Avec son premier long métrage, Jeune femme, la jeune cinéaste française Léonor Serraille fait des débuts très remarqués, la première mondiale de son film produit par Blue Monday Productions venant de se dérouler dans l’écrin de la sélection « Un Certain Regard » du 70e festival de Cannes. Entretien.
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D’où est venue l’idée du film et de personnage principal féminin légèrement « borderline » ?
Ce que vit le personnage dans le film a beaucoup de de points commun avec des choses que j’ai pu vivre : les petits boulots, le rapport à Paris, l’arrivée dans une grande ville où l’on peut se sentir perdu. J’avais envie de revisiter ces éléments avec un personnage qui serait le plus différent de moi que possible. Je suis très introvertie et je voulais rendre honneur à ces gens qui « l’ouvrent », comme ceux qui se mettent d’un seul coup à vous parler dans le métro et que je trouve toujours étranges. J’avais envie d’un personnage complètement décalé, mais dont les réactions seraient en même temps assez saines, très normales face à des épreuves toutes simples qu’on peut vivre quand on arrive dans une ville et qu’on n’a pas trop d’argent. Par ailleurs, j’ai aussi été marquée par des films qui sont des portraits de femmes seules et dignes comme Claire Dolan de Lodge Kerrigan ou Sue perdue dans Manhattan d’Amos Kollek.
Comment avez-vous développé l’intrigue ?
Je voulais qu’on s’attache petit à petit au personnage, qu’il ne soit pas d’emblée ultra-attachant avec un enchaînement ensuite linéaire. Il fallait qu’il y ait beaucoup d’étrangeté dans son parcours et qu’elle se révèle progressivement, comme des couches qui s’enlèvent une à une. Du coup, la forme du film devait ressembler à son humeur qui est un peu « borderline ». Comme elle n’a plus rien, tout est possible ! Et l’humour, le pouvoir des mots, parler avec quelqu’un dans le métro, c’est très puissant dans ces situations où l’on a plus rien ou pas grand chose. Ce possible en termes de fantaisie et de rapport langage quand on est un peu dans la « dèche », était la porte ouverte à une grande liberté de narration et de liberté de personnage. Car il y a quelque chose d’un peu cassé, mais en même temps quelque chose qui se construit dans ce qu’elle peut glaner chez les autres, dans ce qu’elle peut trouver comme réconfort. Il fallait passer d’un état morcelé à quelque chose de solide qui se construit dans le film. Toute l’écriture a donc été pensée avec des ellipses pour qu’elle avance de façon un peu inattendue, dans l’obtention ou pas de ses entretiens d’embauche, dans ses petits boulots, etc. Il fallait que ce soit le personnage qui mène le film avec toutes ses tonalités différentes car elle ne s’installe jamais, elle se cherche.
Un mot sur votre actrice principale, Laetitia Dosch ?
Elle porte le film, littéralement. Je n’ai pas écrit pour une comédienne en particulier car c’était mon scénario de diplôme à La Fémis. Je l’ai découverte dans La Bataille de Solférino et j’avais l’impression de n’avoir jamais vu une comédienne comme elle dans le cinéma français. Je l’ai ensuite vue dans ses « one-woman-shows ». Quand je l’ai rencontrée, j’ai été conquise, et il y avait des points communs très forts entre sa personnalité et celle que j’avais écrite pour le personnage. J’avais l’impression qu’elle avait toutes les couleurs pour l’interpréter et qu’elle allait aussi proposer énormément de choses. Elle avait envie de travailler sur du texte et elle a beaucoup fait d’improvisation. Moi, j’avais besoin de quelqu’un de très vivant, de très « cash » qui allait remettre en question le scénario. Elle a énormément apportée. Il fallait plusieurs natures pour que Paula passe par ses différents et Laetitia a cette capacité : elle peut être très enfant, très adolescente, très femme fatale. Je ne comprends vraiment pas pourquoi on ne la voit pas plus au cinéma parce que c’est une actrice incroyable.
Quid du rythme du film ?
On a resserré au maximum sur le personnage principal, à la réécriture au scénario, au tournage et surtout au montage. On a parfois chamboulé les lignes de mise en scène. J’avais beaucoup tourné en plan-séquences, donc on avait beaucoup de liberté dans la matière qu’on avait. Le scénario prenait beaucoup plus le chemin de la chronique et on évité cet écueil en travaillant beaucoup sur les ellipses, sur les différents moyens que ce soit le personnage qui donne le tempo.
Vouliez-vous faire en creux un portrait des solitudes urbaines ?
L’idée était d’avoir un portait, mais de laisser respirer dedans, à travers des portraits dans le portrait, d’autres personnages qui nous glissent des petites choses, avec des éléments discrets de satire ou de critique. Il fallait faire varier et être concret comme ce que traverse Paula et comme quand est seule comme elle dans un grande ville. Mais ces éléments de critique sociale devaient être en filigrane. Je n’avais pas envie de dénoncer quoi que ce soit, mais que ce soit présent.
Propos recueillis par Fabien LEMERCIER
Source partenaire : Cineuropa
Lire la critique de Fabien Lemercier : « Jeune femme : les tribulations de Paula à Paris »
Photo de Une – Léonor Seraille
(© Paul Grandsard / Festival de Cannes)