Cinéma – « DORA » : le plaisir aux limites de la liberté

Cinéma – « DORA » : le plaisir aux limites de la liberté
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Inspiré de la pièce de théâtre Les névroses sexuelles de nos parents de Lukas Bärfuss, DORA est le second long-métrage de la réalisatrice suisse, originaire de Bâle, Stina Werenfels. Un film puissant, qui explore un cas frontière mêlant handicap mental, sexualité et maternité, sans jamais poser le moindre jugement définitif. DORA sortira dans les salles françaises le 7 juin prochain.

La réalisatrice suisse Stina Werenfels s’empare ici d’un sujet complexe et saturé d’interdits : la sexualité des personnes handicapées. Comment en parler, l’envisager de front, y répondre ? C’est bien aux difficultés y afférant qu’elle confronte le spectateur ; elle parcourt la ligne de crête de la frontière morale, sans donner de réponse.

Conjuguer liberté et handicap

La vie a-t-elle toujours raison, ainsi que l’écrivait Rainer Maria Rilke, ou bien doit–elle être aseptisée jusqu’au bout, comme notre société nous invite à le croire bien souvent ? Au problème de la responsabilité des adultes dans leur vie sexuelle s’ajoute celui du handicap. Ces personnes, touchées malgré elles, doivent-elles être respectées dans leurs limites ou méritent-elles les mêmes droits que les autres ? Contrairement à la pièce, l’héroïne porte un enfant — après une première intervention pour l’en empêcher. Un détail, semble-t-il, mais qui donne toute la dimension au film.

Dora a 18 ans et un handicap mental. Elle est couvée par ses parents, surtout sa mère Kristin (Jenny Schily). Un jour, elle rencontre un homme qui l’attire et leur relation va vite devenir sexuelle. Sans se soucier des avertissements de ses parents, Dora continue à le voir et à vivre une sexualité propre. Tandis que sa mère désespère d’attendre un nouvel enfant, Dora se retrouve enceinte…

Aux frontières de la loi…

Stina Werenfels exprime et montre avec beaucoup de subtilité un enjeu difficile à cerner par la loi. En Suisse, depuis 2013, les autorités sont tenues de trouver des solutions taillées sur mesure pour chaque personne handicapée, lui laissant la possibilité d’envisager son propre avenir au lieu d’une mise sous tutelle systématique. La réalisatrice s’intéresse aux limites d’une loi qui ne peut envisager que le général indéterminé et ne prend pas toujours en compte, non seulement les limites de la personne handicapée, mais encore celles de l’entourage. Au-delà de la jalousie de la mère, il y a encore la prise en charge délicate du bébé par la fille : l’exemple de l’eau bouillante renversée sur le bébé en est la preuve. Là encore, la réalisatrice ne tranche pas : elle soulève les questions, sans prétendre posséder la vérité.

La caméra nous déroute autant que la situation, fixant son attention, selon le regard de Dora, sur ce qui pour nous est bien secondaire. Entre flou et décalage, gros plans et imprécision (indécision ?), elle nous emmène dans une vision du monde « déformée ». Tantôt elle dérange à cause de son envie d’aller trop près, là où la réalité est simple, comme un enfant qui ne comprendrait pas ce qu’il voit et nous montre ; tantôt elle se tient à distance ou à l’écart, lorsqu’il est difficile de se positionner, comme à travers les caméras de surveillance par exemple ; tantôt – enfin – elle se fait candide et sensuelle, en adoptant le point de vue de Dora.

Impressionnante Victoria Schulz

L’actrice Victoria Schulz, recrutée lors d’un casting sauvage, est étonnante dans le rôle : elle le mène à la perfection, sans exagération mais avec complaisance. Jeu pourtant difficile dont elle a su trouver la justesse. « J’étais consciente de la complexité du sujet mais je n’ai ressenti aucune réticence, déclare l’actrice. J’étais certaine d’une seule chose : cette histoire avait besoin d’être racontée et je voulais y prendre part ». Le reste de la distribution est très réussi, avec des acteurs tout en retenue. Lars Eidinger (Sils Maria d’ Olivier Assayas, Alle Andern de Maren Ade) incarne avec brio l’amant de Dora.

Ses parents la veulent libre ; ils considèrent la vie de Dora, son apprentissage et ses expériences, avec beaucoup de respect, malgré quelques craintes devant le danger encouru. L’homme avec qui elle a des relations sexuelles, Peter, n’est pas l’homme idéal. Il personnifie ce que peut attendre une personne dotée d’un handicap mental qui déforme jusqu’à sa vision de la sexualité : un objet de plaisir séduisant, incompris, fantasmé, risqué et au final inaccessible. Si Peter n’est pas attentionné, s’il profite initialement de la situation et la laisse finalement seule à sa responsabilité de mère, il connaît cependant un instant de doute et d’humanité ; plus encore, il donne à Dora ce que personne n’aurait pu ou voulu lui donner. De nouveau, de quel côté se situe la morale ? Peut-on parler de consentement de la part de chacun dans cette relation ?

Loi naturelle et loi humaine

Dora doit choisir entre son désir d’être comme les autres et le fait d’assumer son handicap, après des actes censés la projeter dans une vie d’adulte. Sa découverte de la sexualité et sa maternité ont un goût de transgression, de danger, comme si leur réalisation n’était pas à leur place. Pourtant, la vie grandit en elle, pendant que sa mère cherche elle aussi à concevoir un autre enfant. Leur relation change, leur rapport au monde aussi, pour laisser la loi naturelle répondre autrement à ce que la loi humaine peine à régir.

Ce deuxième long-métrage de la réalisatrice confirme son talent de cinéaste, en offrant, par son audace et sa maîtrise des sentiments, un film coup de poing et libre de tout jugement. Finalement, elle oblige chaque spectateur à choisir lui-même le sens de cette histoire, en faisant appel à son discernement, tout en lui rappelant que l’homme ne saurait avoir réponse à tout.

Louise ALMÉRAS

DORA ou les névroses sexuelles de nos parents : sortie française le 7 juin 2017



DISTRIBUTION

Réalisatrice : Stina Werenfels

Co-auteur : Boris Treyer, d’après la pièce Les névroses sexuelles de nos parents de Lukas Bärfuss

Assistante réalisatrice : Franca Drewes

Avec :

  • Dora : Victoria Schulz
  • Kristin : Jenny Schily
  • Peter : Lars Eidinger
  • Félix : Urs Jucker
  • et Britt Beyer, Nina Haun, Tanja Schuh, Susan Müller.

Directeur de la photographie : Lukas Strebel

Son : Uve Haussig

Montage : Jann Anderegg

Styliste : Gitti Fuchs

Maquilleuse : Lilli Müller

Ensemblière : Franziska Jahnke

Production

  • Producteurs : Samir et Karin Koch
  • Co-producteurs : Nicole Gerhards, Niko Film
  • Productrice exécutive : Dorissa Berninger
  • Directrice de la production : Sereina Gabathuler
  • Productrice artistique : Béatrice Schultz

Distribution française : Esperanza productions
06 01 32 45 78 – esperanzaproductions2 -@- gmail.com



PRIX

Bruxelles, Brussels Film Festival 2015 – Cineuropa Award

Bruxelles, Brussels Film Festival 2015 – Cinelab Award for the Best Image

Festival de Films de Femmes Créteil 2016 – Grand Prix du Jury

Festival de Films de Femmes Créteil 2016 – Prix d’’interprétation pour Victoria Schulz (Dora)



FIN



 

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