Découverte d’un métier atypique : la direction artistique de voix-off

Découverte d’un métier atypique : la direction artistique de voix-off
Publicité

Les directeurs artistiques dirigent l’enregistrement des voix sur tous les supports audio. Ils sont dans l’ombre mais, sans eux, les films, les documentaires, l’audiodescription et les pièces radiophoniques ne seraient pas ce qu’ils sont. Intermittent du spectacle et free-lance, auteur et formateur aux “Coachs Associés“, Alexis Thual est l’un des meilleurs en la matière. Profession Spectacle l’a rencontré.

Spécialisé dans l’enregistrement des documentaires depuis quinze ans, Alexis Thual fait partie du nombre restreint de ceux qui pratiquent ce métier en France. Il nous présente ce métier atypique.

Comment un directeur artistique intervient-il dans un projet ?

Les chaînes de télé achètent des documentaires. La grande majorité diffuse des documentaires étrangers – animaliers, historiques, scientifiques – mais également depuis une dizaine d’années des séries dites de « télé-réalité ». Elles ont besoin d’un directeur artistique (appelé aussi “chef de plateau“) pour diriger l’enregistrement des versions françaises. Elles confient donc les projets à des sociétés de production spécialisées dans le doublage, qui elles-mêmes font appel à un directeur artistique, souvent free-lance. Son rôle sera d’abord de proposer un casting. Ensuite, et c’est le cœur de ce métier, il doit diriger les différents comédiens qu’il aura au préalable distribué sur le film.

Comment les choisissez-vous ?

J’ai dans mon carnet d’adresses des centaines de comédiens « voix » très différents. On a besoin de voix qui aillent de 7 à 77 ans (et plus parfois), avec tous les profils, timbres, des plus classiques aux plus atypiques. Il faut savoir tout enregistrer dans notre métier, du documentaire de cinéma au DVD de fitness (téléréalité, documentaire, institutionnel, audiodescription, etc.). Non seulement il faut savoir tout faire, mais tout a un intérêt, tout doit être intelligible et donner envie. La société de production récupère la traduction ; je monte ensuite mon équipe de comédiens au service du projet.

Arrive alors la séance d’enregistrement…

Oui, exactement. Quand le comédien arrive en studio, il ne connaît pas le texte : c’est la règle dans le documentaire. Il doit donc trouver le ton en accord avec le directeur artistique, qui connaît le film et les désirs de la chaîne. Il faut arriver à magnétiser le propos, à faire passer les idées,  avec beaucoup de spontanéité.  Cela fait appel à des talents de conteurs…

A quel rythme enregistrez-vous ?

Quand j’ai commencé ; il y a quinze ans, on enregistrait un 52’ par jour, qui est le format standard d’un documentaire… Aujourd’hui, on en enregistre deux. D’où la nécessité de travailler sur de bonnes adaptations et avec des comédiens qui peuvent tenir la cadence.

Les paramètres à gérer sont nombreux : il faut surveiller l’image, prendre des informations en écoutant l’intervenant qu’il double mais sans copier sa manière de parler car chaque langue a sa « musique », gérer le time-code, intégrer la direction artistique… Ce n’est pas toujours évident, même pour d’excellents comédiens.

Avez-vous carte blanche pour le choix des comédiens et la direction artistique ?

Cela dépend des chaînes : certaines réfléchissent en amont à ce qu’elles veulent ; d’autres nous font entièrement confiance. Mais la majorité du temps, je leur fais des propositions. C’est un travail d’équipe ! Je travaille parfois directement avec le réalisateur. Quand il le souhaite, je l’aide alors à poser sa voix… à raconter son propre film.

Quel documentaire vous a le plus marqué ?

C’était un documentaire sur les histoires d’amour dans les camps de concentration. Un autre aussi, sur les essais pharmaceutiques dans les bidonvilles indiens… Certains animaliers sont également prodigieux. Le documentaire est une fenêtre sur le monde et le monde est étonnant…

Travaillez-vous souvent avec des personnalités célèbres ?

De temps en temps. J’ai eu le plaisir d’enregistrer François Berléand, Juliette Binoche ou Marek Alter, mais aussi des comédiens dont la voix fait partie du patrimoine audiovisuel français parce qu’ils doublent les grands acteurs américains. Sans parler des centaines d’autres, inconnus du grand public, qui ne sont pas moins talentueux.

Comment devient-on directeur artistique ?

Il n’y a pas de formation pour devenir directeur artistique. Parfois, certains anciens comédiens « voix » passent de l’autre côté du micro et deviennent DA. Pour le reste, ce sont des personnes qui ont travaillé dans l’audiovisuel, avec des parcours un peu atypiques qui les ont amenées à ça. Le métier se fait essentiellement à Paris, un peu à Strasbourg grâce à la présence d’Arte.

Alexis Thual a notamment dirigé Juliette Binoche.

Et vous, quel est votre parcours ?

J’ai été animateur radio à Oui FM à la fin des années 90, où je me suis familiarisé avec le monde des studios, et plus largement de la voix. Puis, j’ai travaillé pendant des années pour l’unité “Achats et coproductions internationales“ de France 5, qui m’a permis de visionner et de travailler sur des centaines de documentaires de qualité. Il y a une logique dans mon parcours…

Par ailleurs, je suis auteur, puisque je réécris de nombreux documentaires ou aide des réalisateurs à écrire leurs documentaires. Ils ont souvent des sujets porteurs et des images excellentes, mais il leur manque parfois cette écriture propre à la langue parlée. Comme je passe mes journées à retravailler les textes en studio, j’ai développé cette compétence avec le temps. Je suis aussi formateur dans le cadre d’un stage AFDAS pour initier les comédiens au métier de la voix.

Que recommanderiez-vous à quelqu’un qui voudrait se lancer dans le métier ?

C’est un métier qui s’apprend sur le tas et qui demande beaucoup de psychologie, parce qu’on ne dirige pas deux comédiens de la même manière. Il faut savoir tirer le meilleur de chacun, être capable de diriger des enfants, des stars ou des débutants qui peuvent être stressés.

Avez-vous une anecdote à nous raconter ?

Récemment, j’ai dirigé le doublage d’un documentaire consacré à ce volcan islandais au nom imprononçable (l’Eyjafjallajökull) qui avait bloqué le trafic aérien. En préparant ma séance, je suis tombé sur des blogs qui se moquaient gentiment des journalistes : aucun ne le prononçait le nom de la même manière ! J’ai donc appelé l’ambassade d’Islande qui m’a donné la bonne prononciation ; le lendemain, le comédien a été ravi de devoir le prononcer au moins 80 fois.

Propos recueillis par Louise ALMERAS



Photographies d’Alexis Thual – Crédits : Louise Alméras

Publicité

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *