« Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Stéphane Batlle fait du théâtre un asile
Vol au-dessus d’un nid de coucou au théâtre : une pièce lourde d’attente quant aux partis pris, aux choix de mise en scène. Chef d’œuvre de la littérature américaine, puis cinématographique, la barre était haute. Stéphane Batlle et le Grenier de Toulouse proposent une mise en scène fidèle au texte original, avec une mise en abyme de l’illusion théâtrale. « Ken Kesey », « Jack Nicholson », « Miloš Forman » semblaient se faire écho au théâtre de Castres.
Une mise en scène fidèle au texte source
Le metteur en scène, Stéphane Batlle, aurait pu choisir d’exploiter une matière franchement folklorique. Il aurait pu travailler les personnages et pousser l’excentricité de chacun pour valoriser le récit démentiel, type Sur la route de Jack Kerouac. Au lieu de quoi, il a préféré une adaptation théâtrale fidèle au texte, austère dans ses décors, agitée dans les personnages, tout en tension entre les scènes et les dialogues.
C’est dans un décor simple que les comédiens du Grenier de Toulouse évoluent : un canapé et des fauteuils des années 60, couleur moutarde, un mobilier en formica (chaises, table et armoire). Voilà les objets qui soutiennent l’imagination du spectateur : la pauvreté et le vide de l’asile psychiatrique, objet de la question. Question que Ken Kesey déroule dans son roman et avec laquelle nous sommes enfermés dans l’adaptation théâtrale qu’en a faite Dale Wasserman. Grâce à des déplacements discrets, dans une obscurité tamisée de faibles lumières bleues, une atmosphère étrange pèse sur le public dans les moments de transition. Les interventions de Bromden – interprété par Haris Haka Resic – fredonnant une musique nostalgique en patois indien illustrent les passages dans lesquels il narre ses souvenirs. Ainsi, même dans les instants de transition, le metteur en scène ne lâche pas le récit ; il tient en haleine son public, maintenant l’attention – la tension.
Le début de la séance, communiqué par un haut parleur ainsi que par une lumière rouge qui s’allume, nous inclut dès le départ, tels les patients informés des ordres par une voix impersonnelle. Une structure conservée qui garde le propos initial et tient surtout le spectateur comme prisonnier du récit.
Une matière donc toute prête, riche et fournie pour développer cette dénonciation d’un système qui oppose le rôle de l’infirmière Mlle Ratched – concentré de la règle, des lois… – et Randle Patrick McMurphy, bouillonnante pantomime des émotions, des sentiments et de la vie avec ses appétits.
Outre les décors, les acteurs ne créent aucun décalage entre leur jeu et le personnage ; ils fabriquent l’illusion complète. Comme si, finalement, il s’agissait bien d’expérimenter ce récit pour en tirer des conclusions, qui ne seront pas énoncées par les personnages.
Une mise en abyme du théâtre comme asile
Le spectateur suit alors le jeu corporel et vocal de Laurent Collombert (Randle P. McMurphy), dans toute sa désinvolture. Le contraste est d’autant plus fort face à Muriel Darras (Mlle Ratched), col roulé, blouse blanche, pantalon large, grave, sévère, représentant la loi, une sans-cœur qui emporte les patients et le public par les blancs qu’elle pose avant chaque intervention. Tant et si bien qu’on ne voit dans ses larmes, lorsqu’elle annonce la mort de Billy (Yohann Villepastour), qu’une nouvelle manipulation des patients.
C’est exactement la mise en abyme de l’illusion théâtrale d’abord, sociale ensuite, où chacun doit être à une place définie et dérange lorsque son jeu change. De même McMurphy, dans une posture affalée dans un des canapés, manifeste une pause dans son jeu. Finalement il ne peut plus tenir, tenir debout d’abord, et surtout tenir son rôle.
Ces affaissements préfigurent déjà la victoire finale de Mlle Ratched, mais sur McMurphy seulement. En effet, tout au long de la pièce, le jeu physique des acteurs interprétant des patients devient peu à peu assuré : leurs corps s’affirment et se redressent. Sont ainsi opposées une attitude sautillante devant le match de baseball, qui crée une euphorie soudant les patients comme une équipe, et les attitudes prostrées et éparpillées de chacun au début. C’est finalement Bromden qui, au-devant de la scène, debout, étouffe un McMurphy lobotomisé et s’enfuit en courant. Des actions, jouées au début, sont finalement incarnées par la suite ; des attitudes timides et hésitantes s’affirment, tandis que tombe McMurphy.
Le spectateur, prisonnier avec le patient, témoin avec lui du dialogue qui s’établit, est amené à prendre parti par lui-même. Bien que les patients soient victorieux, que Bromden s’échappe, il est invité sans doute à nuancer une application du système sans cœur, sans aucune sensibilité, qui ne fait les choses qu’à moitié, en imposant une règle détaillée, cadre pour les patients, sans l’esprit de la règle. La fuite de Bromden, les attitudes de Harding (Pierre Matras) et de Cheswick (Cédric Guerri), capables de rationalité, illustrent le retour d’un équilibre entre les émotions fortes, incontrôlées, et les jugements et les conseils. Le cadre peut leur être utile s’il n’est pas castrateur, mais bien libérateur.
Joséphine RABANY
DISTRIBUTION
Mise en scène : Stéphane Batlle
Texte : Dale Wasserman d’après le roman de Ken Kesey
Traduction française : Jacques Sigurd
Avec :
- Laurent Collombert : Patrick Mc Murphy
- Muriel Darras : Mlle Ratched
- Haris Haka Resic : Bromden
- Pierre Matras : Harding
- Yohann Villepastour : Billy
- Cédric Guerri : Cheswick
- Franck Garric : Scanlon
- Romain Lavalette : Martini
- Didier Petite : Ruckly
- Éric Ducroz : Turckle
- Gautier Constant : Gus
- Stéphane Batlle : Docteur Spivey
- Loïc Carcasses : Washington
- Margo Becz : Mlle Flinn
- Laurence Roy : Candy
- Joan Guilley : Sandy
Coproduction : ville de Tournefeuille
Avec le soutien du Mécène Privilège, l’agence de communication NOVO.
DOSSIER TECHNIQUE
Informations techniques
- Durée : 1h55
- Public : à partir de 15 ans
- Site : Le Grenier de Toulouse
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Tournée : pas de représentations connues à venir.
Le spectacle a été créé en mars 2016 à l’Escale de Tournefeuille.
- Mercredi 18 janvier à 20h30 : Théâtre municipal de Castres.