The Meryl Streep vs Donald Trump Effect ou de la légitimité des artistes à parler de politique

The Meryl Streep vs Donald Trump Effect ou de la légitimité des artistes à parler de politique
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Dimanche 8 janvier 2017. Meryl Streep profite de sa tribune aux récompenses du Golden Globe aux États-Unis pour prononcer un discours très remarqué sur la toile et dans les médias. L’actrice s’en prend évidemment à Donald Trump, rappelant une de ses moqueries les plus débattues, lorsque celui-ci s’était lancé dans une « imitation » d’un journaliste handicapé. La réponse de Donald Trump, pointant le fait que Meryl Streep est un soutien affiché d’Hillary Clinton, n’a pas attendu.

Si l’intérêt d’une telle anecdote n’est pas évident quand on observe l’enchaînement de commentaires et de réactions à la suite de ce micro-événement, il devient plus apparent si l’on considère d’autres affaires similaires.

Quelle crédibilité pour l’artiste ?

De Yannick Noah chantant pour François Hollande lors du discours au Bourget au soutien de Brigitte Bardot à Marine Le Pen, en passant par Guy Bedos qui ne cache pas son envie de « péter la gueule à Manuel Valls » lors de l’ouverture du dernier Brussels Film Festival, la question de la séparation entre la sphère culturelle et les politiques n’a pas cessé de diviser. Un artiste a-t-il le « droit » de se prononcer sur une personnalité ou un mouvement politique ? Est-il légitime d’utiliser son exposition médiatique acquise dans un autre domaine pour propager des considérations partisanes ? La question est tranchée de manière souvent manichéenne, parfois hypocrite. Plus facile de légitimer des soutiens reçus que de les admettre lorsqu’il s’agit de son adversaire. C’est aussi, parfois, un cadeau empoisonné, que ce soit pour l’artiste ou le politique. Chacun trouvera une raison de ternir l’image de celui qui l’a déçu dans ses opinions politiques, quand bien même son affection pour l’artiste lui était chère.

Le problème posé par le discours de Meryl Streep est singulier : le contexte de sa charge rend difficilement à celle-ci la crédibilité d’un engagement assumé et porteur de véritable sens. Nous avons ici affaire à un soutien déjà affirmé d’Hillary Clinton, qui se garde bien de le mentionner. L’audience est composée d’un parterre d’acteurs d’Hollywood qui, dans leur immense majorité, a partagé le même engagement. Le texte est préparé, les caméras le sont aussi, et tout ce joli monde saisit l’opportunité de montrer une certaine vision – quand bien même serait-elle bonne – du paysage politique américain, sans contempteur en face, sans non plus pouvoir/vouloir rentrer dans un véritable apport d’informations ou d’analyses nouvelles. Cet entre-soi risque de confirmer un certain « mépris » des votants Trump et de ne s’adresser qu’à ceux qui sont déjà convaincus de l’indécence du nouveau président américain.

L’œuvre d’art comme vision du monde

Au-delà de la dimension morale du questionnement (la question de l’équité de profiter d’un média parallèle à celui du discours politique, relativement influent, puisque les artistes disposent de ressorts émotionnels – les acteurs particulièrement – que les politiques peuvent difficilement obtenir), il faut bien observer que les manières pour un artiste de se prononcer sur la politique sont innombrables. À ce titre, l’œuvre d’art en elle-même n’est-elle pas le testament d’une certaine vision du monde ? Quoi de mieux qu’un film aujourd’hui pour présenter, argumenter, dénoncer des considérations à caractère politique ?

Le succès de films comme Merci Patron de François Ruffin et de La Loi du Marché de Stéphane Brizé en sont des témoins récents. Vincent Lindon, qui incarne le personnage principal du second, est par ailleurs connu pour son engagement ; nous ne saurions toutefois lui faire le procès d’une quelconque hypocrisie au vu de ses efforts pour garder sa dignité privée, au vu également du choix de ses films, manifestement guidé par les mêmes considérations. La question n’est pourtant pas ici résolue. Elle pourrait l’être selon la théorie de François Cluzet, qui confiait à Télérama en 2012 : « Pour garder sa liberté de parole, un artiste ne doit pas s’engager. Un acteur mange forcément à tous les râteliers : ai-je le droit de refuser que des spectateurs d’extrême droite viennent me voir ? Pas d’hypocrisie ! »

Mais l’on conviendra que nous ne pouvons rationnellement pas interdire aux artistes le droit de s’exprimer sur la politique, ni leur nier totalement la légitimité de défendre leurs convictions devant tous. Peut-être pouvons-nous au moins tenter de discerner la sincérité de leur engagement et l’intérêt de leurs analyses… Le cas Trump présente une particularité encore spécifique, puisque le cas de conscience se présente sous un angle plus grave : les adversaires du nouveau président ressentent un danger « fascisant ». Ces derniers peuvent-ils réellement se taire lorsque celui qu’ils considèrent comme l’incarnation des maux de la démocratie utilise tout l’espace pour répandre ses théories nauséabondes ? Certes, non. Toutefois, le sens d’une prise de parole en opposition à une idéologie ne peut être pertinent que s’il propose un argumentaire nouveau et judicieux dans son analyse.

Encore faudrait-il avoir quelque chose à dire…

Le discours de Meryl Streep n’est à ce titre ni révolutionnaire, ni particulièrement profond ; l’actrice se contente de rappeler l’engrenage que la forme des paroles de Donald Trump est susceptible de faire naître aux États-Unis : violence qui appelle la violence, en une dégringolade sans fin du niveau de débat. Un rappel salutaire, dont l’intérêt dans ce contexte n’est cependant pas évident…

Pas question pour autant de faire à Meryl Streep un procès d’hypocrisie : ses nombreux films engagés témoignent pour elle. Ni à notre représentante Isabelle Huppert, justement récompensée pour sa performance dans Elle de Paul Verhoeven, qui a fait mieux encore : une petite phrase en fin de discours a suffi pour illustrer l’absence de profondeur de sa réflexion et la naïveté caractérisée de nombre d’artistes dès lors qu’ils cherchent à déterminer le sens et la nature de l’art dans un contexte politique : « Il y a des gens du monde entier dans cette salle, de Chine, du monde arabe, d’Amérique et d’Europe : n’attendez pas du cinéma qu’il dresse des murs et des frontières ! »

Nous apprécions Isabelle Huppert, mais là, le niveau est quand même trop bas. Dur-dur de briser la dynamique Trump lorsque l’on se contente d’une telle opposition, consensuelle et aguicheuse, aux bons sentiments affichés. À l’approche des présidentielles françaises, que les artistes parlent de politique, pourquoi pas ? Encore faudrait-il qu’ils aient vraiment quelque chose à dire.

Maël LUCAS

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