Louis-Jean Cormier : « J’ai toujours été un grand sensible, avec une voix qui fait passer le frisson »
Ex chanteur-guitariste du groupe rock québecois Karkwa, Louis-Jean Cormier développe dorénavant une carrière en solo. Avec trois Félix (l’équivalent de nos Victoires) et un disque d’or pour chacun de ses disques sous son nom, il est l’une des personnalités majeures de la scène québécoise. Après un premier album en 2012, Le treizième étage, il revient cette année avec Les grandes artères, dans lequel il nous parle des chemins intérieurs et extérieurs qui constituent toute vie.
Nous l’avons rencontré alors qu’il s’apprête à partir en tournée, à la conquête de la France.
Tu as sorti en 2015 un nouvel album solo Les grandes artères, qui te conduit aujourd’hui en France pour une nouvelle tournée. Pourquoi la France aujourd’hui ? Sens-tu l’intérêt de la scène française pour des artistes de ta trempe ?
Non pas nécessairement. Quand je viens ici, je ne me dis pas que c’est dans la poche ! Mais lorsque j’écoute les retours des journalistes et de mes amis français, je me dis qu’il y a peut-être une place pour ma musique ici. Il faut dire que tout cela est possible parce qu’à la maison, pour moi, ça marche très bien. C’est un peu idiot de se cantonner au Québec quand il y a la France, pays qui parle la même langue que la tienne. Venir en France pour moi, c’est en même temps exporter, défricher, rencontrer et explorer. Et cela s’inscrit aussi dans un rêve de jeunesse, celui de construire mon petit pont entre nos deux nations.
Tu t’apprêtes à te balader pas mal. Pour toi, c’est quoi une bonne tournée ?
À mon avis, c’est assez différent selon les situations. Ici, je suis un inconnu, je retourne à la case départ. Mais j’arrive avec le sourire en coin parce que j’ai 20 années d’expérience derrière moi, une machine très efficace autour de ce dernier disque, un spectacle qui est parfaitement huilé, que j’ai déjà énormément présenté au Québec. Au fond, ici, tout ce qui me manque, c’est un peu de visibilité. Parce que sinon, pour cette tournée, tout marche !
Au-delà de l’importance évidente de la communauté linguistique, qu’est-ce qui explique pour toi ce lien si fort entre la musique québécoise et la scène française ?
Outre le fait que nous sommes quand même cousins, il y a un engouement pour ce que la musique québécoise a de différent de la musique française. Du fait de notre présence sur le continent américain, où nous sommes cernés par les anglophones, nous sommes naturellement plus influencés et pétris de culture musicale anglo-saxonne. Ce que me disent souvent les Français, c’est que cette influence se ressent même dans la façon dont nous faisons sonner la langue française. On me dit souvent que nos paroles accrochent moins l’oreille, sont plus mélodieuses que la chanson française.
Après, il y a des trajectoires communes. Je pense par exemple à Jimmy Hunt, qui fait quelque chose d’assez similaire à ce que crée Bertrand Belin ici : une chanson avec très peu de texte, des paroles très épurées, une phrase répétitive, envoûtante. Ce que je sens donc ici, c’est l’engouement pour un mariage de nos deux cultures.
Ta musique est très « urbaine » dans sa thématique, comme le montre ton très joli titre Les grandes artères. Elle est comment la ville que tu chantes aujourd’hui ?
Les grandes artères, ce sont autant les artères du cœur, de l’amour, que le décor urbain, les boulevards qu’on envahit pour des manifestations, dans lesquels on peut retrouver la pauvreté, la jeunesse. C’est un espace d’émancipation, de fugue. Ce sont des canaux émotionnels, des vecteurs de voyage. Effectivement, j’essaye d’écrire les chansons les plus visuelles possibles, car c’est important pour moi de pouvoir dresser un décor, de décrire un cadre dans une chanson. Le titre de cet album est donc merveilleusement adapté à mes chansons.
Tu sembles avoir parfaitement réussi la transition entre ton ancien groupe Karkwa et ta carrière individuelle. Qu’est-ce qui fait que cela c’est bien passé ?
Je dirais que c’est une question de temps. J’ai toujours été un gars de groupe et j’avais peur de découvrir un individu qui n’avait pas nécessairement d’idée en passant solo. Ça a été tout le contraire. Je me suis découvert : j’ai écrit une cinquantaine de chansons et je suis resté dans ce mouvement, parce que cela a coïncidé avec le moment où le public québécois a épousé ce que je proposais. Cela a été extraordinaire.
Il ressemble à quoi, ce nouveau Louis-Jean Cormier ?
J’ai toujours été un grand sensible, avec une voix qui porte, qui fait passer l’émotion et le frisson. Je me retrouve aujourd’hui dans une zone où je suis plus un chanteur « de charme » ! Je reste capable d’aller dans une densité de son plus manifeste ; par exemple, ma chanson « Saint-Michel » relève davantage du rock progressif. Plus que la flamboyance, je crois que ma voix cherche la sincérité. Je me sens capable de faire quelque chose de rafraîchissant avec une chanson qu’on désignerait normalement comme ringarde.
Tu as travaillé pendant un certain temps pour La Voix, le The Voice québécois. Qu’as-tu pensé de cette expérience ?
Elle m’a beaucoup apporté. La Voix m’a ouvert à une nouvelle audience ; beaucoup plus de personnes sont venus me voir en concert. C’est aussi que c’est plus facile d’être identifié quand on est seul à la télévision, regardé par un public très large, que lorsqu’on est cinq, plus discrets, plus rétifs à la médiatisation. Pour cela, j’ai beaucoup évolué et j’en suis content, parce que je sens que je peux changer le milieu de l’intérieur. Ceux qui critiquent ce choix, les érudits de Karkwa, les mélomanes de gauche, ne se rendent pas compte de l’opportunité de diffusion que cela représente pour un milieu musical comme le mien. L’artiste qui boycotte reste dans l’anonymat et n’a aucun impact.
Que penses-tu de l’état de la scène musicale québécoise aujourd’hui ? Pourquoi semble-t-elle si en forme ?
Je pense que tout cela date de l’explosion produite par l’arrivée sur la scène, dans les années 80, de groupes comme Karkwa, Galaxie, Malajube… Ils ont formé une sorte de communauté musicale avec des liens très forts, qui a beaucoup porté la créativité, l’interaction. Cela a grandi, il y a d’abord eu des projets comme ceux des Sœurs Boulay et de Philippe B, puis une émergence dynamique de nouvelles générations, des jeunes, des Philippe Brach, Klô Pelgag… et tout ce milieu vit ensemble cette aventure. J’en ai des frissons rien qu’à en parler, c’est une formidable histoire ! Cela a certainement à voir avec la petitesse du Québec qui, malgré sa taille, marche très fort, s’impose et continue de grandir.
Propos recueillis par Camille DALMAS
Mardi 18 octobre 2016 – CÉBAZAT (FRANCE) – Le Sémaphore
Mercredi 19 octobre 2016 – LYON (FRANCE) – Le Sirius
Jeudi 20 octobre 2016 – PORTES-LÈS-VALENCES (FRANCE) – Le Train Théâtre
Samedi 22 octobre 2016 – NANTES (FRANCE) – La Barakason
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