La Sacem et le monde électro : la réconciliation après les persécutions ?
C’est bien connu : la Sacem est la fiancée qui a rejeté, méprisé, piétiné le monde de l’électro, il y a de cela vingt ans. Mais voilà que la belle regarde pour la première fois son créatif prétendant et lui fait désormais les yeux doux. En témoigne la première étude jamais réalisée par l’institution sur les musiques électroniques. Présentée dans le cadre du MaMA par ses deux entremetteurs, le journaliste Olivier Pellerin et le consultant Benjamin Braun, l’étude est un réel pas… enfin.
Plus d’une dizaine d’intervenants se sont succédé hier lors de la présentation du rapport au MaMA, des représentants de la Sacem, dont son directeur général Jean-Noël Tronc, aux artistes reconnus et indépendants de la sphère électro. Signe que l’heure de la grande réconciliation a sonné.
Une amorce de réconciliation après des années de persécution
« Cette étude arrive enfin, s’exclame Bruno Blanckaert, patron de la mythique scène du Grand Rex. Il était important que ce secteur fasse l’objet d’une reconnaissance professionnelle. Constatons simplement qu’il aura fallu presque vingt ans avant que cette reconnaissance intervienne, après des années de persécution de droits… » Bruno Blanckaert est d’une autre génération que la plupart des intervenants du jour : il a connu toutes les tensions, qui continuent apparemment de l’habiter. S’il se garde de vouloir polémiquer, comme il le répète à plusieurs reprises, il ne peut s’empêcher de conclure de manière contradictoire : « J’en ai fini de cet aspect polémique. »
C’est dire l’importance de cette étude dans le processus de réconciliation : plus que les chiffres énoncés, qui feront l’objet d’un article ultérieur sur Profession Spectacle, c’est la reconnaissance de cet art qui est au cœur des enjeux. « C’est un moment important parce que nous avons découvert qu’il n’y avait jamais eu d’études sur l’ensemble du secteur, confirme Jean-Noël Tronc. On est dans quelque chose à la fois de positif et d’innovant. Ce pays encore aujourd’hui sous-estime cet art, sa puissance, sa créativité. »
Le défi de la professionnalisation
Si la French Touch a atteint le monde entier, notamment grâce aux Daft Punk, elle reste encore peu connue en France, malgré le renouveau initié par Laurent Garnier, le Grand Rex, le Weather Festival et la Concrete… Notamment en raison d’un défaut de professionnalisation qui demeure, à la suite des différends avec les institutions françaises. « Il était temps de se pencher sur le sujet, appuie Pedro Winter, fondateur de ED Banger Records qui vient de recevoir le prix du meilleur petit label aux Prix Indés. J’espère qu’à travers cette étude, on va faire bouger les choses : elle nous montre qu’il faut en revenir à la création et soutenir les artistes, les labels. »
Faire bouger les choses… à commencer, donc, par la professionnalisation du milieu, qui a évolué pendant plusieurs dizaines d’années dans l’ombre, en pirate. « Les artistes ont besoin d’être pro dans leurs pratiques, explique Tommy Vaudecrane, président de Technopol. Quand on passe des heures derrière les machines, on peut devenir pro. Toutefois, les artistes doivent comprendre qu’ils ont besoin d’un cadre : il y a la Sacem, un marché pour les musiques électroniques… » La France voit en effet arriver une vague de nouveaux acteurs du monde électro : artistes, labels, collectifs, clubs, public… Cela explique la nécessité d’un accompagnement, pour Tommy Vaudecane : « Il y a 25 ans, on était des rebelles et on ne s’inscrivait pas à la Sacem. Aujourd’hui, il faut être accompagné, ne serait-ce que pour des questions de rémunération. On est tous convaincus qu’il faut accompagner les artistes vers leur professionnalisation. »
Une promesse de la Sacem : travailler à la reconnaissance des œuvres
Cette étude est ainsi un bras tendu vers la professionnalisation, c’est-à-dire un pas de la Sacem pour instaurer la confiance qui a cruellement fait défaut entre les artistes électro et les institutions. Reste que se réunir au Théâtre de l’Atelier pour en discuter entre grands ne suffit pas. « Il y a un intérêt à être inscrit à la Sacem, mais on manque encore d’informations, regrette l’artiste DJ Molly. On ne sait pas ce que cela nous apporte. On pense que c’est destiné aux artistes connus ou aux artistes de variété. »
C’est pourquoi Olivier Le Covec, directeur du département de la documentation générale et de la répartition à la Sacem, s’engage au nom de l’institution à travailler sur une reconnaissance plus fine des œuvres. « Nous allons lancé un appel d’offres auprès de prestataires spécialisés pour qu’ils nous donnent des moyens d’identification des œuvres jouées dans les festivals et les clubs, et d’assurer ainsi la répartition individualisée. Nous devrions aboutir dans les prochains mois. » Il annonce également la publication d’un guide professionnel, notamment centré sur les questions juridiques de l’édition.
Problématiques et défis du monde électro vers la normalisation
C’est que les problématiques ne manquent pas dans ce processus de normalisation des musiques électroniques, des DJ qui s’inventent producteurs à la dématérialisation croissante des supports qui rend instable le marché de l’électro. Olivier Pellerin cerne également, dans son étude, trois enjeux majeurs : la reconnaissance, le soutien au développement et à la pérennisation des structures, ainsi que l’aide à la création et à la professionnalisation.
C’est ainsi un marché en pleine expansion qui est abordée de front, dont l’une des dernières marquantes du moment est la plateforme French Waves, un « beau projet transmédia qui présente la transmission entre trois générations d’artistes vidéo », s’enthousiasme Olivier Pellerin. Puisse seulement cette normalisation ne pas tarir la créativité d’un milieu dont la force provient aussi de sa dimension pirate, underground.
Pierre GELIN-MONASTIER
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