Le théâtre de l’Arc en Ciel : un pont entre terre et ciel

Le théâtre de l’Arc en Ciel : un pont entre terre et ciel
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En juillet dernier avait lieu les Soirées d’été du château de Machy, petit festival de théâtre et de musique organisé par le théâtre de l’Arc en Ciel autour de la question du sens, de la relation à l’autre, de la tension vers le beau. Leur création 2016 ? Dialogues des Carmélites de Georges Bernanos… un choix audacieux. Autant de problématiques essentielles et – osons le mot – spirituelles, qui ont suscité notre désir d’aller à la rencontre de cette troupe atypique.

Le destin, parfois, est taquin, pour autant que nous souhaitons le regarder ainsi. Ce jeudi 7 juilllet 2016 s’y prête ! On savoure la douceur du début de soirée dans les jardins du château de Machy, à Chasselay, commune des Monts d’Or située à quelques encablures au nord de Lyon. Tout porte à se laisser aller dans la verdure et la torpeur d’été du jour déclinant, l’esprit et le cœur grand ouverts pour en savourer les « Soirées d’été ».

France vs Allemagne : sur la pelouse comme sur les planches !

Contrairement à d’autres éditions de cet événement, un « détail » a toutefois retenu nombre de spectateurs chez eux : le foot ! Ce même soir, la France joue l’Allemagne, et nous voici comme entre nous pour découvrir l’une des deux seules pièces écrites par Guillaume Apollinaire : Les mamelles de Tirésias. La voici, la taquinerie : cette œuvre nous vient directement d’une confrontation autrement plus funeste entre les deux nations qui se jouait, elle, voilà un siècle. Le théâtre de l’Arc en Ciel reçoit en effet la compagnie Petit Agité dans ses murs – ou mieux, dans sa cour, puisque le spectacle est en extérieur –, à laquelle succède, les jours suivants, Claude Vonin pour son Totus Cordus. À chacun sa façon de vivre en paix : certains par le sport, d’autres par le théâtre ou la musique !

Car c’est de cela dont il s’agit, à en croire Olivier Fenoy, tout à la fois créateur, directeur, metteur en scène et comédien d’Arc en Ciel : dans le choix des spectacles invités comme pour les créations de la compagnie (La Cerisaie, Les Tolstoï, Le Baron de la Crasse, Thomas More, Skylight, L’Alouette…), jusque dans la façon même de travailler les textes au sein de la troupe, il y a cette recherche de la relation à l’autre, pour le rencontrer dans sa vérité, son authenticité.

Une tension constante vers l’émotion et la beauté

Sophie Iris Aguettant, professeur et comédienne, veut trouver « le moyen de partager le plus intime à plusieurs, pour offrir une proposition d’ouverture et d’élargissement du champ de conscience humain, et aller vers plus d’humanité ». Au-delà de la technique théâtrale, « pour que le public et l’acteur vivent quelque chose ensemble, touchent le mystère de la vie et se dévoilent leur propre histoire », Iris part à la recherche – au fond d’elle-même comme avec ses élèves acteurs – d’un lâcher prise, à l’instant du premier contact avec le public : le comédien, laissant s’épanouir ce qu’il a de plus vrai et entrant pleinement en relation avec le spectateur, comme avec ses partenaires sur scène, permet à l’émotion et au beau d’exister.

« La beauté sauvera le monde », aime d’ailleurs à citer Olivier Fenoy. Cette phrase de Dostoïevski, (qu’il a mis en scène à la Cartoucherie de Vincennes, avec Les Frères Karamazov), apparaît comme un fil rouge pour l’Arc en Ciel !

Au château de Machy, créations, résidences et cours se succèdent

En digne héritier de Jacques Copeau dont il se revendique, afin de tendre vers le beau et s’ouvrir à l’autre dans la sincérité et la confiance, pour voir clair enfin sur les chemins tortueux du sens, le groupe s’est posé au château de Machy, havre de paix offrant un panorama apaisant sur la plaine de l’Ain et les Monts du Beaujolais. Acquise en 1978, la propriété a été restaurée au fil du temps, des moyens, des bonnes volontés, pour devenir dans les années 1990 le point d’ancrage d’une compagnie qui ne cesse de naviguer en France et en Europe, bientôt à Paris, Lille ou encore Bruxelles.

Là, le groupe s’exprime, partage, découvre, vit presque en autarcie avec ses espaces de répétition intérieurs et extérieurs, sa bibliothèque, son parc, son potager… « presque », car il ne s’agit pas pour autant d’une réclusion : le lieu accueille des résidences, des cours pour tous les âges, ainsi que celles et ceux qui désirent assister au travail de la troupe, l’espace d’un week-end ou plus.

C’est dans ce cadre serein qu’a émergé la dernière création du groupe, Dialogues des Carmélites de Georges Bernanos. Dans un tel contexte, on ne s’étonne pas de l’unité et de la cohésion qui émanent du petit groupe de comédiennes ; celles-ci nous donnent à voir des religieuses tout à la fois inspirées par la foi qu’elles partagent et tourmentées dans leur pratique par les folies de la Terreur, sous la Révolution Française. Bernanos a choisi de poser, à travers elles, la question de notre ultime rendez-vous, de notre aptitude à accepter ou à choisir notre propre mort. Un thème qui, pour Olivier Fenoy, résonne de manière singulière dans notre époque.

Bernanos : acte de foi et choix transcendant

« Désirer la mort en bonne santé, c’est se remplir l’âme de vent, comme un fou qui croit se nourrir à la fumée du rôti. » Ainsi la supérieure des Carmélites rappelle-t-elle à ses condisciples la portée universelle et la transcendante d’un tel choix. À peine ont-elles retrouvé quelque apaisement que les hommes du Tribunal révolutionnaire font – encore et encore – irruption dans la cour du château, au son des percussions, glaçant la fraîcheur de la nuit étoilée.

« – Il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté

– La nôtre est hors de vos atteintes », de lui répondre une autre religieuse.

Les carmélites s’ajustent, se questionnent, se répondent sur leurs joies, leurs doutes, leurs peurs, leur vocation, se retrouvent dans le chœur et déclament à l’unisson les cantiques, jusqu’à unir voix et destinées dans un choix ultime : « Il faut savoir risquer la peur comme on risque la mort, le vrai courage est dans ce risque ».

On croit entendre résonner le canon révolutionnaire et la Carmaniole au loin, quand les feux de la rampe viennent troubler ceux de la voute céleste : la troupe salue. Le voyage s’achève en douceur, à l’abri des murs du château de Machy.

Olivier DE VOS

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