9 février 1893 : « Falstaff », le gros éclat de rire final de maître Verdi
Instant classique – 9 février 1893… 125 ans jour pour jour. Après le triomphe d’Othello, Giuseppe Verdi n’excluait plus de revenir encore à la scène. À l’été 1889, il évoque avec son librettiste Arrigo Boito l’idée de solliciter à nouveau Shakespeare, mais dans une comédie, tirée des Joyeuses commères de Windsor. Verdi n’avait écrit qu’un seul opéra dans le genre comique, presque 50 ans auparavant, Un giorno di regno, qui avait été un four retentissant.
Le vieux maître hésite pourtant, mais l’excitation le gagne : « Amen, qu’il en soit ainsi ! Faisons donc Falstaff ! Pour l’instant, ne pensons pas aux obstacles, à l’âge, à la maladie ! Je veux aussi le plus grand secret et je souligne ce mot trois fois pour vous dire que personne ne doit rien savoir de tout cela. »
Le dernier triomphe du vieux maître
Après le projet Chocolat, voici donc le plan Pancione (« Gros ventre »). Verdi se met au travail bon an mal an ; le secret tient pendant 18 mois, jusqu’à ce que le Corriere della Sera annonce, en novembre 1890, que Giuseppe Verdi est en train de composer un nouvel opéra. La création, lors de la saison du carnaval 1893 est un nouveau triomphe, le dernier pour le vieux maître de 79 ans, ovationné pendant une demie-heure sur la scène de la Scala.
C’est que ce dernier opus lyrique révèle une modernité saisissante, fourmille d’idées géniales, d’une richesse incomparable. Le vieux conservateur, qui grognait contre les nouveautés de ses jeunes successeurs, contre les attaques faites à « l’italianità » de l’art lyrique, les surpasse soudain tous en audaces harmoniques, en fluidité et en même en concision.
Giuseppe Verdi se paie le luxe, lui qui n’avait eu qu’une éducation musicale fruste, de finir sa longue carrière lyrique par une fugue d’un grand classicisme, qui est en même temps un gros éclat de rire : « Le monde est une farce, l’homme est né farceur. La foi dans son cœur vacille, sa raison chancelle. Tous dupés ! Chacun se rit de l’autre, mais rira bien qui rira le dernier… »
Résumé complet
L’action se passe à Windsor sous le règne du roi Henry IV. Dans l’hôtel de la Jarretière, le chevalier Falstaff, recordman du tour de taille, taquine une nouvelle bouteille de Xérès, entouré de ses deux acolytes alcooliques Pistola et Bardolfo.
Il congédie avec mépris le docteur Caius venu se plaindre des deux larrons qui l’auraient volé, car il pense à autre chose : comme il se pense irrésistible, il projette de courtiser lourdement Alice Ford, la femme d’un riche bourgeois local. Et si ça ne marche pas, il y aura toujours Meg, elle aussi femme d’un autre notable. Ainsi, l’argent – qui manque cruellement – coulera à flots.
Il veut donc faire porter à chacune une lettre d’amour par Pistola et Bardolfo, lesquels refusent, au nom de l’honneur… Ce qui provoque la fureur du chevalier qui, après une tirade sur l’inutilité de l’honneur lorsqu’il faut remplir les ventres, les chasse à coups de balai et fait porter ses messages par un jeune page.
Dans un jardin, Alice Ford raconte à ses amies commères, Meg et Mme Quickly, qu’elle a reçu une lettre très amusante tant elle est lourdingue. Meg constate qu’elle a reçu la même, en tous points… Elles décident de se venger entre elles du prétentieux, qui a signé les lettres « John Falstaff, cavaliere ».
Pendant ce temps, Pistola et Bardolfo viennent prévenir Ford qu’il risque fort de voir des cornes pousser sur son crâne…
Indifférents aux complots ambiants, la fille des Ford, Nanetta et son amoureux Fenton, se cachent pour se bécoter mais doivent vite se séparer, car Ford ne veut pas entendre parler de leur union. Ford, furieux du projet dénoncé par les deux ivrognes, décide d’aller se présenter incognito à Falstaff pour lui tendre un piège.
Revenus faussement en grâce pour aider la vengeance des unes et de l’autre, Pistola et Bardolfo viennent annoncer à Falstaff la venue d’une commère porteuse d’un message. Mme Quickly susurre à Falstaff qu’Alice Ford est tout émoustillée par la lettre et que son mari s’absente généralement entre 2 et 3… Le chevalier est persuadé d’avoir fait mouche.
Ford, incognito sous le nom de Fontana, vient sur ces entrefaites demander à ce brillant chevalier connu pour ses faits d’arme et d’amour de l’aider à conquérir une femme dont le cœur lui est fermé ; c’est justement Alice. Falstaff lui révèle que c’est déjà fait et accepte une grosse bourse d’or pour mettre Alice dans les bras de Fontana, qui fulmine de jalousie…
Falstaff arrive dans la chambre d’Alice, introduit par Mme Quickly. Le plan des commères est de faire peur à Falstaff en annonçant l’arrivée du mari. Mais voilà que le mari arrive vraiment avec une armée d’hommes de main prêts à rosser le gros chevalier, qu’on cache dans un panier à linge qui le contient tout juste. Dans la confusion générale, durant laquelle Nanetta et Fenton en profitent encore un peu, les commères font jeter le gros contenu du panier dans la Tamise… Patatras… Ford comprend qu’il s’est trompé mais la vengeance du couple n’est pas encore terminée… Alice renvoie Mme Quickly auprès de Falstaff pour lui dire qu’elle est désolée, qu’elle n’est pour rien dans le désastre de la Tamise et surtout qu’elle donne un nouveau rendez-vous à Falstaff au parc la nuit suivante. Le désir libidineux du chevalier n’y résiste pas.
Les comparses ont prévu de flanquer une belle frayeur au chevalier en lui faisant croire qu’il est entouré d’elfes et de créatures magiques de la forêt. Ford veut en profiter pour annoncer le mariage de Nanetta avec le docteur Caius (elle préférerait mourir…). Alice compte bien renverser la situation pour permettre à sa fille d’épouser celui qu’elle aime et donc Fenton. Au terme d’une scène d’anthologie où tout le monde brutalise Falstaff qui est tombé dans le piège, on se réconcilie en unissant la reine des fées voilée (Alice a substitué Nanetta et l’a remplacée par Bardolfo) et le docteur Caius.
Alice introduit un autre couple dont l’union doit être consacrée et crac, bas les masques : la reine des fées Bardolfo fait un gros bisou plein d’alcool à Caius et le second couple unit bien Fenton et Nanetta. Falstaff se moque de Ford, qui lui a révélé sa véritable identité : « Caro buon messer Ford, ed ora dite, lo scornuto, chi è ? ». Ford accepte finalement et tout le monde se sépare sur la fameuse fugue.
Ici la scène de la chute ans la Tamise et son joyeux tourbillon, dans un enregistrement de légende qui unissait en 1965 à Vienne Leonard Bernstein et Dietrich Fischer-Dieskau (Falstaff inattendu mais génial).
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Rubrique : « Le saviez-vous ? »
Photographie de Une – Falstaff, mise en scène Lee Blakeley, présentée à Los Angeles le 7 novembre 2013