8 février 1874 : le (bref) couronnement de Modeste Moussorgski
Instant classique – 8 février 1874… 144 ans jour pour jour. Il est bien difficile de raconter l’histoire d’un opéra à la fois aussi célèbre et dont la genèse a été si mouvementée. Commençons par le commencement : en 1866, le tsar Alexandre II autorise la pièce d’Alexandre Pouchkine, Boris Godounov, après des années de mise à l’index. Modeste Moussorgski décide dès 1868 d’en faire un livret pour un opéra et termine la partition à la fin de l’année suivante.
Comme c’est la règle, il la soumet à la direction des Théâtres-Impériaux , qui la met sous clé, puis la rejette (officiellement parce qu’il n’y avait pas de rôle féminin important). Modeste Moussorgski revoit donc son œuvre de fond en comble, ajoute un personnage féminin et même une petite histoire d’amour.
Des versions rejetées…
Ironie du sort, Moussorgski, qui a alors 32 ans, partage alors une chambre avec Nikolaï Rimsky-Korsakov, qui compose son opéra La Pskovitaine ; ils s’influencent l’un l’autre. Or, c’est Rimsky-Korsakov qui fera la première et durable révision de Boris après la mort de Moussorgski et il faudra attendre de longues années avant que la version originale revienne et s’impose peu à peu à nouveau (pour autant, son ami Rimsky n’était pas manchot et son travail est de très grande qualité).
La seconde version de Moussorgski, achevée en 1872, est à nouveau présentée aux Théâtres-Impériaux et à nouveau rejetée. Pourtant, on joue des morceaux de l’œuvre en privé çà et là, si bien qu’elle commence à se faire connaître.
… jusqu’au succès posthume
Finalement, l’opéra est autorisé et créé ce 8 février 1874 à Saint-Pétersbourg, avec succès, pour tomber très vite dans l’oubli, jusqu’au travail de Rimsky-Korsakov entre 1888 et 1892, puis entre 1906 et 1908. Le retour à la version de 1872, 100 ans après sa composition, reste incomplet et se résume souvent à une sorte de synthèse entre les versions de 1869 et de 1872.
Mais tout cela, au fond, importe peu. Boris Godounov trône de toute façon, quelle que soit la version, au firmament des chefs-d’œuvre lyriques et constitue l’opéra russe par excellence.
Moussorgski ne verra pas le triomphe de son opéra, aidé en cela de façon posthume par Rimsky-Korsakov, qui entreprendra d’en corriger les erreurs d’autodidacte. Dévoré par un alcoolisme dévastateur, il meurt en 1881, à 42 ans.
Résumé
Il raconte l’histoire de Boris Godounov, puissant boyard, qui devient tsar après la mort, mystérieuse, du dernier fils d’Ivan le Terrible, le tsarévitch Dimitri. Lors de son couronnement, il paraît sombre, comme inquiet. Dans un monastère, le vieux moine Pimène écrit l’histoire de la Russie aux côtés de son jeune camarade Grigori. Il est convaincu que Boris a fait assassiner le tsarévitch et veut le dénoncer dans sa chronique. Grigori, bien décidé à profiter de cette histoire, s’enfuit vers la Lituanie.
Dans ses appartements, Boris médite sur les affres du pouvoir et est interrompu dans ses pensées par le prince Chouïski, qui vient lui annoncer qu’un faux tsar est apparu en Lituanie, soutenu par le roi de Pologne. Boris interroge Chouïski sur les circonstances de la mort de Dimitri et le prince la lui décrit en détail. Boris est terrifié ; il croit voir le tsarévitch devant lui. Pendant ce temps, le faux Dimitri (qui n’est autre que Grigori) file le parfait amour avec Marina, noble polonaise qui ne se fait aucune illusion sur son identité, mais qui entend profiter de l’usurpation pour devenir tsarine.
À Moscou, le tsar est de plus en plus agité, il a des visions. Pimène vient lui dire que des miracles ont eu lieu sur la tombe du tsarévitch. Le tsar n’en peut plus, chasse tout le monde, reste seul avec son fils et meurt d’une attaque, épuisé et terrorisé, tandis que le faux Dimitri s’approche de Moscou avec son armée (dans la vraie histoire, il y parviendra, se fera même reconnaitre par sa « mère », la veuve d’Ivan, et deviendra tsar… pour 8 jours, avant d’être assassiné par les boyards, emmenés par Chouïski, qui deviendra lui-même tsar sous le nom de Vassili IV).
Ici, la mort de Boris avec l’extraordinaire Anatoli Kortchega, sous la direction de Claudio Abbado en 1993, témoignage de représentations mémorables de la version originale de l’œuvre.