8 décembre 1849 : la troisième naissance de Verdi
Sur une œuvre de Schiller, que le compositeur admire tant, Verdi compose un opéra majeur, qu’il chérit toute sa vie durant : Luisa Miller constitue un tournant dans la carrière de notre cher bougon, sa troisième naissance. Nous célébrons aujourd’hui les 172 ans de sa création à Naples.
Après Alzira, en 1845, Giuseppe Verdi avait signé un engagement selon lequel il donnerait un nouvel opéra au San Carlo de Naples. Et il devait l’écrire avec le librettiste qui avait déjà travaillé avec lui pour Alzira et pour sa Bataille de Legnano, Salvatore Cammarano, lié par contrat au San Carlo, Verdi n’ayant pas d’autre choix que de faire cet opéra avec lui.
Pendant quatre ans, Verdi regrette cet engagement. Il cherche même à s’en défaire en 1848. Mais comme le royaume des Deux-Siciles n’a alors rien d’un havre libéral, il est contraint de maintenir le contrat en raison de la menace très directe que ferait peser un renoncement sur l’infortuné librettiste. Salvatore Cammarano risque en effet rien moins que la prison, pour désobéissance au roi, même indirecte. Verdi fait donc contre mauvaise fortune bon cœur.
Mais alors, écrire sur quoi ? On lui demande sans cesse de faire dans la fresque historique, comme il venait bon gré mal gré de le faire avec l’opéra patriotique La bataille de Legnano. Mais à trente-quatre ans, après treize opéras en presque dix ans, Verdi n’a plus envie de cela. Il écarte tout de go Rienzi ou Cléopâtre, et aussi un certain Siège de Florence. Il pense plutôt, au printemps 1849, à une œuvre de Schiller, auteur qu’il admire et dont il s’inspire plusieurs fois, Kabale und Liebe, une pièce de 1784. Point de fresque, voici un beau mélodrame tout à fait dans la veine du moment.
Comme d’habitude, le livret vise moins à adapter la pièce qu’à éviter les foudres de la redoutable censure napolitaine, qui voit le mal à peu près partout. Ce qui inévitable, puisque le mal s’incarne dans à peu près tout pour ces as du ciseau. Ça démarre mal, puisque le héros de Friedrich von Schiller s’appelle… Ferdinand. Comme le roi, le massif et sévère Ferdinand II. Il faut ensuite gommer tout ce qui fait trop républicain, trop révolutionnaire, trop subversif. Il s’en faut de peu pour qu’on réécrive toute la pièce…
Cammarano lui envoie sa copie définitive mi-août 1849, après avoir distillé des petits bouts depuis le printemps. Verdi met un peu moins de deux mois à réaliser une partition qu’il chérit sa vie durant, sa correspondance en atteste.
Et puis, il ne saurait y avoir d’opéra de Verdi sans un monceau de problèmes dans sa préparation. D’abord, Verdi perd beaucoup de temps à Rome, sur le chemin de Naples, puisqu’ayant séjourné auparavant à Paris où une épidémie de choléra faisait rage, le compositeur est placé en quarantaine. Ensuite, le ténor maison, Bettini, chante comme une casserole et est congédié au dernier moment, mettant Verdi, furieux, devant le fait accompli. Heureusement il est remplacé par l’excellent Settimio Malvezzi. Puis le San Carlo, comme bien souvent, fait face à de grosses déconvenues financières et ne peut pas payer son acompte à Verdi, très chatouilleux sur le sujet.
Au moins peut-on compter finalement sur une distribution de haute volée, avec Marietta Gazzaniga dans le rôle-titre et Achille De Bassini dans celui de Miller ; si bien que la création, voici cent soixante-douze ans, remporte un certain succès.
Le plus important reste que Luisa Miller constitue un tournant dans la carrière de notre cher bougon, sa troisième naissance, après celle de 1813 et le premier triomphe de 1842 avec Nabucco. Après ce petit mélodrame, rien n’est plus comme avant. Stiffelio confirme le tournant, puis vient la fameuse trilogie. Mais c’est là une autre histoire.
Cette œuvre regorge d’invention. Je pourrais vous proposer ses tubes, mais voici plutôt l’impressionnant finale du premier acte, ici à Parme en 2007.
Un jour… une œuvre musicale !
Rubrique : « Le saviez-vous ? »