31 juillet 1869 : Offenbach triomphe avec une princesse (de cire ?) devant des princes (cireux ?)
Instant classique – 31 juillet 1869… 151 ans jour pour jour. Certes, ceux qui connaissent La princesse de Trébizonde d’Offenbach (ils ne sont pas légions) ont plutôt en tête un opéra-bouffe en trois actes, et les plus pointus d’entre eux (ils sont une poignée) savent que cette version a été créée à Paris le 7 décembre 1869.
Rien à voir avec un anniversaire le 31 juillet, me direz-vous. Et pourtant, voilà bien cent cinquante-et-un ans aujourd’hui que cette œuvre a été créée et pas du tout à Paris, mais bien à Baden-Baden. Il s’agit alors d’une version en deux actes.
Le projet de cette nouvelle partition était destinée au départ à Ems, pour l’été 1868. Jacques Offenbach a pour habitude de séjourner durant la période estivale dans cette ville d’eaux bien connue, qui deviendra bien plus célèbre pour de funestes raisons deux ans après, et où le compositeur peut en profiter pour amuser les nombreuses têtes couronnées et autres membres de la très haute société en villégiature. Mais alors que l’un de ses librettistes fétiches, Charles Nuitter, travaille sur le livret de cette étrange Princesse de Trébizonde depuis le printemps, Offenbach change de plans et le projet est remis à l’année suivante. En 1869, Offenbach délaisse Ems pour Baden-Baden, station tout aussi garnie de gens très aisés et de représentants de toute l’aristocratie européenne. Au milieu de reprises diverses, la première partie de l’année est dominée par Vert-Vert et La Diva, deux œuvres dont l’accueil n’est pas vraiment délirant.
En mai, Offenbach a quitté Paris pour Étretat afin de travailler à sa nouvelle partition, dont le livret a été repris entretemps par Nuitter et Étienne Tréfeu. Offenbach, comme souvent, est nerveux et passablement autocratique avec ses librettistes. Il les réclame à ses côtés, et les deux : « C’est bien fâcheux que vous ne puissiez vous décider à venir. Tréfeu seul est complètement inutile, comme vous seul également. Il faut venir ensemble ou pas. » Offenbach mise beaucoup sur sa nouvelle œuvre : elle doit être créée à Baden-Baden, certes, mais surtout rouvrir la saison parisienne en septembre.
La troupe des Bouffes-Parisiens prend donc ses quartiers à Baden-Baden début juillet 1869. La station en elle-même est un décor d’opéra et il y a du beau monde. Le public y est particulièrement aisé, cosmopolite et friand de bonnes choses. Le nom d’Offenbach y est fort réputé et l’optimisme est de rigueur pour cette histoire de princesse – qui est en fait une poupée, principale attraction d’une troupe de saltimbanques, dont l’héroine Zanetta casse malencontreusement le nez, ce qui la conduit à prendre sa place pour le spectacle, suscitant ainsi quiproquos et coup de foudre avec Raphaël, le fils du prince Casimir….
De fait, le 31 juillet, c’est devant une volée de princes que l’ouvrage est créé. Outre le margrave Max de Bade lui-même, on note la présence des princes de Lippe et de Furstenberg, des princes Troubetzkoi, Galitzine et Souvarov et bien d’autres…. Sans oublier le préfet du Bas-Rhin, le baron Auguste Pron, venu en voisin…
Le succès est complet, la critique – notamment celle du Figaro – enthousiaste. Offenbach est appelé sur scène à la fin des deux actes avec toute sa troupe. Davantage que le livret, passablement alambiqué et qui sera fort repris en décembre, c’est la musique d’Offenbach qui est encensée. Blavet, du Figaro, écrit : « Offenbach peut se présenter au dernier jugement avec Orphée dans une main et la Princesse de Trébizonde dans l’autre, il est bien sûr d’être nommé maître de chapelle du bon Dieu. » Fichtre ! Et dire que cette partition est aujourd’hui fort oubliée.
Pour s’en donner une idée, rien de tel que l’ouverture, qui vous mettra en joie, qui plus est jouée ici par les lointains successeurs des créateurs de 1869, puisqu’il s’agit de la philharmonie de Baden-Baden.