29 février 1836 : l’archétype du grand opéra à la française
Instant classique – 29 février 1836… 184 ans jour pour jour. Paradoxalement (parce qu’il est rare), le 29 février est une date importante dans l’histoire de la musique. D’abord parce que c’est l’anniversaire de Rossini, bien sûr ; mais aussi parce que c’est celle de la création d’un des grands chefs-d’œuvre de l’opéra français, de ce qu’on appelle encore aujourd’hui le « grand opéra à la française », celui qui a jalonné presque tout le XIXe siècle à la Grande boutique.
Genre fondé par Guillaume Tell de Rossini (chef-d’œuvre insurpassable) ou par la Muette de Portici d’Auber après le précurseur Spontini (La Vestale, Fernand Cortez), c’est l’opéra à grand spectacle. Le plus souvent en cinq actes, avec force grands ensembles pompeux, des chœurs glorieux, des ballets (exigence incontournable de l’opéra de Paris qui fera tant grogner Verdi, qui pourtant avec Don Carlos, signe l’autre – et peut-être le dernier – immense chef-d’œuvre du genre), des airs de bravoure et sans trop d’ornements qui en font un peu le contrepoint du bel canto sans pour autant être faciles à chanter, le tout sur des sujets de préférence historiques et/ou fantastiques plein de boum-boum en veux tu en voilà. Moi j’adore !
Pourtant, le grand représentant de ce genre n’était pas français, mais allemand. Giacomo Meyerbeer est né à Berlin en 1791 mais commencera véritablement sa carrière en Italie (où il modifiera son prénom originel, qui était Jakob). Appelé à Paris et protégé par Cherubini, tout puissant patron du Conservatoire, il remporte d’emblée un triomphe avec Robert le Diable. Habile mélodiste, fin devin des goûts du public, il saura leur servir ce qu’ils attendent en scènes glorieuses et qui en mettent plein les yeux comme les oreilles. Si le grand public l’a un peu oublié aujourd’hui, il faut savoir qu’à l’époque et jusqu’à sa mort en 1864, il sera l’un des compositeurs les plus célèbres et les plus couverts d’honneurs de son temps.
Ces Huguenots créés le 29 février 1836, année bissextile donc, devaient d’abord s’appeler « La Saint-Bathélémy », sujet alors en vogue. Cela n’alla cependant pas sans poser quelques problèmes diplomatiques, même deux cent cinquante ans après les guerres de religion. L’opéra frôla l’échec et eut un développement assez lent en Europe. Bien que rarement joué aujourd’hui, car très lourd à monter (vivement qu’on le revoie à l’opéra de Paris, petit message au passage !), il est depuis l’opéra le plus connu de Meyerbeer.
Il raconte l’histoire de Raoul de Nangis, protestant, amoureux d’une mystérieuse beauté qui se révèle être Valentine, fille du chef catholique fanatique Saint-Bris. Celle-ci refuse d’être mariée à un autre chef catholique, le comte de Nevers, mais Raoul n’en sait rien… Or, la reine Marguerite cherche à apaiser les tensions religieuses et veut marier un protestant à une catholique. Elle propose donc un mariage entre Valentine et Raoul de Nangis. Ça pourrait finir bien (et ne durer qu’une petite heure et demie) mais non, car Raoul, la croyant liée à un autre, refuse cet « arrangement » (encore un qui ne sait pas ce qu’il veut). Quelque temps plus tard, Valentine a fini par épouser Nevers mais aime encore profondément Raoul. Nevers et Saint-Bris veulent attirer ce dernier dans un guet-apens ; Valentine prévient le jeune protestant, qui refuse de se dérober. Chez le comte de Nevers, les catholiques jurent de se débarrasser de tous les protestants (fameuse « conjuration des poignards », grand moment de l’opéra), sous le regard médusé de Raoul, caché. Mais le comte de Nevers lui-même refuse de prendre part au massacre, ce qui lui vaut l’admiration de sa femme, qui aime cependant toujours son Raoul. Au dernier acte, au terme d’une fête, le massacre commence. Nevers est tué par les fanatiques catholiques. Valentine épouse alors illico Raoul en se convertissant au protestantisme. Face aux tueurs qui arrivent, elle refuse d’abjurer sa nouvelle foi et est exécutée avec Raoul. Saint-Bris, qui a ordonné le massacre, découvre trop tard sa fille parmi les victimes. La nuit de la Saint-Barthélémy commence (ah oui, j’oubliais, pour la vérité historique, ne comptez pas sur les livrets des grands opéras à la française !).
J’ai choisi ici l’un des exemples caractéristiques de ce que je décrivais ci-dessus, souvent concentré dans les grands finales d’acte. La fin de l’acte II, lorsque Raoul refuse l’arrangement qu’on lui propose, commence avec un serment très solennel, avant d’exploser en grand chœur façon avalanche avec tutti orchestraux et toute la grande batterie, ici dans la meilleure version enregistrée de l’œuvre (il n’y en a pas beaucoup ceci dit).