28 juillet 1840 : le bain de foule de « M. Emberlificoz », Hector Berlioz
28 juillet 1840… 181 années jour pour jour. Berlioz somme une symphonie d’une grande noblesse, qui pourrait constituer l’une des œuvres les plus percutantes et les plus pertinentes pour les grandes cérémonies nationales, si on évite, en effet, les lourdeurs induites par l’orchestration très cuivrée. Hélas, le compositeur n’y a pas échappé lors de la création de son œuvre.
Les Parisiens (et aussi les autres !) reconnaîtront sans doute le génie qui figure sur la photo et qui vient couronner la colonne de Juillet laquelle, depuis 1840, commémore sur décision du roi Louis-Philippe la révolution éponyme de 1830 et honore les victimes de ces Trois glorieuses.
Érigée place de la Bastille, là même où se trouvait la forteresse détruite en 1789, la colonne avait suscité le vif intérêt de Hector Berlioz, qui voulait mettre en musique cet événement. Le voilà qui fait donc un gros lobbying auprès du ministère de l’Intérieur (et Hector savait être très collant). Charles de Rémusat, qui venait d’être nommé ministre dans le tout nouveau gouvernement d’Adolphe Thiers, aimait bien le compositeur et lui passa donc commande.
Berlioz se mit au travail mais souffrit mille morts pour écrire l’apothéose finale, qu’il craignait de rendre trop lourde et trop vulgaire, d’autant que l’œuvre devait être jouée à l’extérieur, la première partie pour accompagner les dépouilles des victimes et l’autre pour la cérémonie d’inhumation. Il fallait donc que ce fût assez audible, nuancé, puissant et noble à la fois.
L’œuvre est d’ailleurs plutôt jouée par des orchestres d’harmonie militaire plutôt que par des formations symphoniques, mais j’ai quand même choisi une interprétation – l’une des très rares sous cette forme – par un grand orchestre, qui plus est excellemment dirigé par l’un des plus grands spécialistes de Berlioz, sir Colin Davis, tout british qu’il était (malgré un vilain couac des trompettes au début de l’apothéose).
Les répétitions, en salle, avaient produit un grand effet. Mais Berlioz craignait qu’en plein air tout s’évapore, car la symphonie reste souvent très nuancée. Il craignait aussi les réactions de la foule contre la cérémonie elle-même, puisque, pour lui, seule comptait la musique.
Le fameux journal satirique et républicain Le Charivari, opposé à ce « convoi funèbre des libertés mortes pour les citoyens, pour faire pendant à des citoyens morts pour la liberté » s’en prit d’ailleurs à Berlioz : « Pendant l’inhumation, M. Emberlificoz fera exécuter sa défunte marche funèbre. Quelques charrettes mal graissées augmenteront le pittoresque de sa composition ».
Ce 28 juillet 1840, Berlioz dirigeait en uniforme et ce qu’il craignait se produisit. Les 200 musiciens de l’harmonie se volatilisèrent peu à peu pendant la marche funèbre et, agacés de rester immobiles, les soldats de la garde nationale commencèrent à défiler bruyamment au son de 50 tambours pendant que Berlioz dirigeait l’apothéose. La presse du lendemain fut donc assez dure envers le musicien.
De fait, cette symphonie, pourtant d’une grande noblesse, pourrait constituer l’une des œuvres les plus percutantes et les plus pertinentes pour les grandes cérémonies nationales, si on évite, en effet, les lourdeurs induites par l’orchestration très cuivrée. Il y a pourtant un homme d’à peine vingt-sept ans, pourtant souvent très critique de Berlioz, qui salua cette symphonie comme un chef-d’œuvre : Richard Wagner lui-même, qui n’hésita pas à écrire dans l’Abendzeitung de Dresde : « L’esprit de Beethoven souffle sur lui. » Pour une fois qu’il ne disait pas une vacherie !