28 février 1920 : un tombeau très dansant
Instant classique – 28 février 1920… 100 ans jour pour jour. En pleine Grande guerre et alors qu’il s’est engagé – malgré sa taille trop petite et sa santé fragile qui avaient conduit à ce qu’il fût réformé dès 1914 – dans le train des équipages, Maurice Ravel commence la composition d’une pièce pour piano, Le tombeau de Couperin.
« L’hommage s’adresse moins au seul Couperin lui-même qu’à la musique française du XVIIIe siècle », écrira-t-il plus tard. Après plusieurs accidents de santé, dont un assez grave, Maurice Ravel est définitivement réformé en 1917 et termine cette partition chez sa marraine de guerre, alors qu’il est plongé dans le plus profond désespoir à la suite de la mort de sa mère.
Marqué par ces épreuves, il dédie chacune des six pièces à l’un de ses amis morts au front :
– Jacques Charlot, qui avait travaillé sur Ma mère l’Oye pour le prélude ;
– Jean Cruppi, fils de la dédicataire de « L’Heure espagnole » pour la fugue ;
– Gabriel Deluc, peintre originaire de Saint-Jean de Luz pour la forlane ;
– Pierre et Pascal Gaudin, deux frères amis d’enfance de Ravel et morts le même jour pour le rigaudon ;
– Jean Dreyfus, fils de sa marraine de guerre pour le menuet ;
– Joseph de Marliave, mari de la pianiste Marguerite Long, pour la toccata finale.
C’est d’ailleurs Marguerite Long qui crée cette œuvre pour piano en avril 1919, salle Gaveau, à Paris. Dans le même temps, Ravel orchestre les quatre premiers morceaux, considérant que les deux derniers étaient trop fortement marqués par leur aspect strictement pianistique que l’orchestre effacerait par trop. C’est cette nouvelle suite pour orchestre qui est créée il y a juste cent ans aux Concerts Pasdeloup à Paris, sous la direction de Rhené-Baton, avant que les Ballets suédois en présentent une version dansée au théâtre des Champs-Élysées quelques mois plus tard
En voici ici une version qui a plus de soixante ans, par l’orchestre des concerts du Conservatoire (devenu depuis l’orchestre de Paris), sous la direction d’André Cluytens.
Et c’est vrai que, contrairement à ce qu’on pourrait croire en lisant le titre et en connaissant les circonstances tout comme les dédicaces de l’œuvre, celle-ci n’est pas funèbre pour deux sous. Ces pièces, magnifiées par le génie orchestrateur de Ravel, sont vivantes, joyeuses, festives, pleines d’humanité et montrent par ailleurs tout ce que la forme et le style du siècle des Lumières peut avoir de moderne.