25 février 1881 : Tchaïkovsky au bûcher (de la critique)
Instant classique – 25 février 1881… 138 années jour pour jour. Piotr Ilitch Tchaïkovsky s’est toujours beaucoup intéressé au personnage de Jeanne d’Arc. Son biographe André Lischke rappelle même qu’il aurait voulu en écrire une biographie.
Après Eugène Onéguine, il semble hésiter entre plusieurs sujets d’opéras, songeant notamment à Roméo et Juliette dont il n’avait fait « qu’une » grandiose ouverture-fantaisie plus de dix ans auparavant. Il se décide fin 1878, lors d’un voyage à Florence, après avoir relu une traduction en russe de l’œuvre de Schiller, déjà adaptée par Giuseppe Verdi : ce sera La Pucelle d’Orléans.
Tout en restant proche de Schiller, malgré le caractère fantaisiste du drame sur le plan historique, Tchaïkovsky se documente : Michelet, Wallon, mais aussi le livret de Barbier pour Gounod. Tout en conservant l’invraisemblable romance entre Jeanne et le Bourguignon Lionel, allié des Anglais, il décide de faire mourir son héroïne sur le bûcher, contrairement à Schiller (et donc Verdi). Cette fin l’avait toujours beaucoup impressionné : « Hier soir, en lisant le livre sur Jeanne d’Arc et en arrivant au passage de l’abjuration et de l’exécution […] j’ai eu une terrible crise de larmes. J’ai eu soudain tellement mal, tellement pitié de l’humanité tout entière, et j’ai été pris d’une épouvantable tristesse », écrit-il à son frère Modest en décembre 1878, au moment où il décide d’en faire son prochain opéra.
Il réalise lui-même le livret, qui ne passe pas pour être un chef-d’œuvre d’écriture, et réalise la partition entre janvier et août 1879. Au dernier moment, on confie le rôle de Jeanne à une mezzo-soprano, Maria Kamenskaia, et la création a lieu au théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg le 25 février 1881 devant un public enthousiaste, qui rappelle Tchaïkovsky sur scène vingt-quatre fois, comme ce dernier l’écrira lui-même.
Mais, malgré la beauté de cette œuvre trop injustement méconnue, rare exemple de grand opéra « à la française » à la sauce russe sur un sujet autre que russe, la critique éreinte le compositeur : « beaucoup de passages creux et parfois carrément ennuyeux » pour Soloviev dans les Nouvelles de Saint-Pétersbourg ; « ouvrage faible d’un compositeur de talent, banal, monotone, ennuyeux, trop long, avec quelques rares apparitions d’une musique plus brillante » pour César Cui dans La Voix. Tchaïkovsky est profondément blessé et retouchera plus tard son œuvre, qui ne s’est pas maintenue au répertoire et c’est bien dommage.
Voici l’air resté le plus fameux, cheval de bataille des mezzos, « Adieu forêts », que chante Jeanne à la fin du premier acte, ici par l’une des très grandes interprètes du rôle, Irina Arkhipova, dans une intégrale devenue introuvable dirigée par Guennadi Rojdestvenski à la fin des années 60.