23 octobre 1931 : Igor sacrilège ?
Pour la première fois de sa vie, Stravinsky compose un concerto pour violon seul, un instrument dont il ne maîtrise pas les caractéristiques. Il s’y risque, mais la partition est d’abord refusée par le virtuose Douchkine, qui l’estime trop difficile, avant de se raviser : l’œuvre est créée à Berlin il y a 90 ans jour pour jour.
Igor Stravinsky n’a encore jamais écrit pour violon seul lorsque son éditeur, W. Stecker pour les éditions Schott en Allemagne, lui commande un concerto pour cet instrument. Stecker a même un objectif encore plus précis : il souhaite un concerto pour Samuel Douchkine, sommité du moment.
Stravinsky hésite beaucoup. Ne pratiquant pas cet instrument, il n’en connaît pas toutes les caractéristiques ni même les potentialités techniques, lesquelles peuvent être jouables ou non par le soliste. Il s’en ouvre à Paul Hindemith, compositeur fameux mais aussi grand violoniste, qui lui explique que le fait qu’il n’ait pas cette connaissance lui permettra sans doute d’écrire une œuvre encore meilleure.
Stravinsky se lance donc et, comme on pouvait s’y attendre, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Toutes les difficultés possibles et imaginables sont là pour le soliste. Le compositeur ne veut pas pour autant créer une œuvre « virtuose », et cela tombe bien puisque Douchkine ne se cantonne pas à ce seul registre. Mais la difficulté technique revient par la fenêtre après être sortie par la porte : Stravinsky imagine pour les quatre courts mouvements de sa partition un même accord, sorte de fil rouge. Il présente cet accord à Douchkine en lui demandant s’il est faisable pour le soliste. Douchkine en prend connaissance et répond simplement : « Non »… Et il tourne les talons.
Plus tard, en y repensant, il s’aperçoit qu’au contraire, l’accord n’a rien d’aussi compliqué et rappelle fissa Stravinsky pour lui donner la bonne nouvelle. Soulagement général : l’œuvre peut être créée voici quatre-vingt-dix ans aujourd’hui à Berlin.
Même si Stravinsky a beaucoup joué avec les rythmes, les dissonances et autres surprises, la partition est bien accueillie, car plutôt accessible. Mais la critique, elle, veille ! Elle remarque que pour ses mouvements, le compositeur a voulu faire une claire allusion à Bach : « Toccata », « Aria I », « Aria II » et « Finale ». Les puristes du Grand cantor crient au scandale : ils n’y voient rien moins qu’une « profanation de Bach, qui sous des dehors de civilité française, révèle suffisamment clairement la sauvagerie d’instincts pour moitié asiatiques. »
No comment. Mais on se console néanmoins bien vite… en l’écoutant !