23 mars 1912 : quand c’est long, ce n’est pas forcément bon…
Instant classique – 23 mars 1912… 108 ans jour pour jour. Reinhold Glière (1875-1956) est un compositeur assez méconnu et bien oublié par ici, qui fut un grand pédagogue, professeur de composition au conservatoire de Moscou pendant des décennies, et qui forma d’autres musiciens restés plus célèbres que lui (Prokofiev, Miaskovsky, Khatchaturian pour ne citer que les plus fameux).
Reinhold Glière touchait un peu à tout, mais est resté marqué par un style très post-romantique et totalement hérité de la grande musique symphonique russe du XXe siècle, de Glinka à Rimsky-Korsakov en passant bien sûr par Borodine et Tchaïkovsky. Il écrit trois symphonies, dont la dernière est sans doute la plus ambitieuse.
D’abord, il s’agit d’une fresque gigantesque racontant l’histoire d’Ilya Muromets. Ce fils de paysan, affaibli par une étrange maladie, est resté assis pendant trente ans, incapable de produire un effort. Un jour, deux pèlerins passent par là et l’exhortent à se lever et devenir un héros au service de sa patrie et de sa foi. Et ni une ni deux, sans doute gêné par ses escarres après trente ans sur son banc, Ilya se lève et va à la rencontre du grand guerrier Svyatogar, qui lui lègue ses pouvoirs fabuleux. Évidemment, Ilya va les utiliser pour ratatiner le brigand Soloveï (un drôle de rossignol qui tue ses victimes rien qu’en sifflant…) et ramener sa dépouille au prince Vladimir qui lui fait fête. Ilya continue de fracasser les crânes de ses ennemis avec son armée sans problème particulier jusqu’à ce que soudain, des guerriers tombés du ciel les attaquent. Chaque fois que les hommes d’Ilya en abattent un, il en ressort deux, puis trois, etc. Évidemment, si l’ennemi triche, c’est pas du jeu. Ilya sonne la retraite, mais les vilains anges transforment tout ce petit monde en pierre. Ilya n’avait pas dû choisir la bonne foi, il aurait mieux fait de rester assis.
Pour raconter tout ça, non sans talent, Glière compose une symphonie de plus d’1h20, l’une des plus longues de tout le répertoire. Elle lui coûte mille efforts pendant deux ans et il la dédie à son ami Glazounov. Elle est créée à Moscou voici tout juste cent huit ans.
Leopold Stokowski, le fameux chef que vous voyez dans le merveilleux Fantasia de Disney, adorait cette symphonie. Mais ce chef avait une sorte de maladie, sans doute née d’un orgueil un peu hors normes : il s’acharnait à faire des transpositions, réécritures et autres découpages de tout ce qu’il touchait. D’ailleurs, les morceaux choisis dans Fantasia n’y avaient pas échappé.
Voilà que Stokowski fait miroiter au vieux Glière une exécution de sa symphonie aux États-Unis s’il lui laisse réduire un peu sa partition. Glière accepte et, tchac, notre Leopold la coupe de moitié ! Il lui donne ainsi plus de force expressive, mais ça reste une boucherie. Ceci étant, on peut comprendre le chef d’orchestre, soucieux que ses spectateurs ne restent pas assis aussi longtemps que ce pauvre Ilya Muromets. Si c’est pour la Huitième de Bruckner ou la Sixième de Mahler, aussi longues que la troisième de Glière, passe encore ; mais pour être un très bon compositeur, Glière n’est pas un génie et il y a dans sa symphonie de terribles longueurs, comme dans mon article de ce matin.
Si vous le lisez jusqu’au bout, vous comprendrez donc pourquoi quand c’est long ce n’est pas forcément bon… en tout cas en musique. Pour le reste, je vous laisse méditer en écoutant le dernier mouvement de l’œuvre, plus de vingt minutes à lui seul , et qui n’en recèle pas moins de jolies couleurs !