22 juin 1788 : vaches maigres matérielles et opulence artistique
Instant classique – 22 juin 1788… 232 ans jour pour jour. À la fin du mois de mai 1788, Mozart n’a plus un radis, pas même une queue de cerise. Véritable panier percé (sa femme Constance ne l’est pas moins), il vit dans l’angoisse matérielle la plus grande.
Le 17 juin, Mozart déménage dans un logement moins coûteux pour son foyer, dans les faubourgs de Vienne, Währingergasse, dans une maison appelée « Aux trois étoiles », au numéro 135. L’immeuble tel qu’on peut le voir aujourd’hui est au demeurant fort joli. Mais il n’a pas l’esprit tranquille. Le même jour, il écrit à l’un de ses frères maçons, Puchberg, à qui il avait déjà emprunté 136 florins peu avant, pour lui demander cette fois 200 autres florins immédiatement. Il voudrait également emprunter à plus long terme, 1000 ou 2000 florins. Puchberg envoie les 200, mais pas davantage.
Quinze jours après, Mozart lui écrit à nouveau, et on sent son angoisse à chaque ligne de sa lettre. Il lui révèle également que, depuis qu’il a emménagé dans son nouveau logement, il a « davantage travaillé qu’en deux mois dans [son] autre logis » et « s’il ne me venait pas aussi souvent des idées noires que je dois repousser avec effort, je me porterais encore mieux car je suis logé agréablement ». Il dit vrai : il s’est installé le 17 juin et le 22, il achevait un – celui qui nous occupe aujourd’hui – trio pour piano, violon et violoncelle. Le 26, c’est une sonate. Début juillet, une autre, puis un trio le 14, etc. Nous en reparlerons.
Or, ce fameux trio est un pur chef-d’œuvre, qui contraste avec cette angoisse permanente. C’est un contraste parce que Mozart réagit. Il veut s’en sortir, travailler, retrouver un espoir matériel grâce à sa seule arme : son génie. Certes, le trio est traversé ici ou là de sombres échos, vite cachés par une grâce et une élégance souveraines. Le finale est un bijou à lui tout seul. On sent que le moteur va repartir. Dans les semaines qui suivront naîtront les symphonies 39, 40 et 41, qui brilleront au firmament de sa création.
Voici le trio en mi majeur, k542, en entier bien sûr ; et pas par n’importe qui : le Beaux-Arts trio, s’il vous plaît.