22 janvier 1934 : un opéra pornographique signé Chostakovitch ?
Instant classique – 22 janvier 1934… 84 ans jour pour jour. En 1930, Dimitri Chostakovitch s’intéresse de très près à une nouvelle de Nicolaï Leskov, Lady Macbeth du district de Mtzensk et demande au librettiste Alexandre Preiss de lui en tirer un livret d’opéra. Lors de la création, le triomphe est total. L’opéra s’appelle alors Katerina Ismaïlova et a à peine été modifié ici ou là. La presse unanime, Gorki en tête, crie au chef-d’œuvre…
Mais quelques mois plus tard, coup de théâtre : le tout-puissant patron de Léningrad et rival de Staline, Kirov, est assassiné, sans doute sur ordre de ce dernier, ce qui sert de prétexte à une gigantesque purge ordonnée par Staline. Ce dernier assiste fin 1935 à une représentation de l’opéra avec les affreux porte-flingues Jdanov, Molotov et Mikoyan sans inviter le compositeur, puis quitte la salle avant la fin.
Le lendemain, la Pravda se déchaine contre un opéra « pornographique » ou plutôt « pornophonique », antisoviétique et j’en passe. Chostakovitch échappe au goulag par miracle, sera sans cesse persécuté à la moindre de ses compositions jusqu’à la déstalinisation et l’opéra ne sera repris qu’en 1963. L’œuvre, difficile, est très efficace, très réussie, sombre tableau de la misère sexuelle, du cynisme et de la violence conjugale. En voici le superbe finale, dans une version filmée par Petr Weigl dans les années 70 avec en bande sonore la version mythique de Mstislav Rostropovitch, ami intime du compositeur, avec dans le rôle titre la femme de Rostro, Galina Vichnievskaia, l’une des très grandes titulaires du rôle (ce n’est pas elle qui joue dans le film, cependant).
Résumé
L’œuvre raconte l’histoire de Katerina, épouse délaissée du riche Zinovi Ismaïlov et très maltraitée par son beau-père, le brutal Boris, qui lui reproche de ne pas donner d’enfant à son fils tout en la pelotant à l’occasion.
Parmi les ouvriers du moulin familial est arrivé le jeune et beau Sergueï, chassé d’une autre ferme où il avait séduit la femme du patron. Lors d’une soirée avinée, en l’absence du maître de maison Zinovi, lui et les ouvriers agressent sexuellement la servante Aksinia. Katerina vient au secours de celle-ci mais Sergueï la défie et l’humilie.
Le vieux Boris intervient et les chasse, tout en ordonnant à Katerina de lui préparer un plat de champignons. Seule, Katerina se plaint de sa solitude mais Sergueï frappe à la fenêtre et entre dans la chambre. Katerina se donne à lui et la musique à cet endroit simule un acte sexuel frénétique (avec d’admirables decrescendi des trombones après l’orgasme !). Mais Boris surprend les amants, ameute la ferme et fouette jusqu’au sang Sergueï avant de le faire enfermer et de demander à sa belle-fille de lui servir ses champignons. Katerina, sans trembler, les assaisonne à la mort-aux-rats puis, pendant l’agonie de Boris, libère Sergueï. Tout le monde croit que le vieux a mangé par erreur des champignons vénéneux.
Sergueï demande Katerina en mariage, mais voilà que Zinovi revient inopinément de son voyage et comprend que sa femme a un amant : il veut la frapper mais Sergueï surgit et le neutralise. Les deux amants l’assassinent et le cachent à la cave. Zinovi étant porté disparu et considéré comme mort, les amants se marient donc, mais pendant la noce, un ivrogne descend à la cave pour trouver du vin et découvre le cadavre de Zinovi. Il court alerter la police et les deux amants sont arrêtés. En route pour un bagne sibérien, Sergueï repousse Katerina à qui il reproche de lui avoir gâché la vie et court se consoler dans les bras d’une prostituée elle-même déportée, Sonietka. Katerina, effondrée, attend la première occasion et précipite Sonietka dans les eaux glacées d’une rivière avant de s’y jeter elle aussi tandis que les bagnards reprennent tristement leur route.
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Rubrique : « Le saviez-vous ? »