21 mai 1892 : clown triste de Leoncavallo
Instant classique – 21 mai 1892… 98 ans jour pour jour. On l’a vu, le Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni déclenche dans les années 1890 une vague d’œuvres courtes, réalistes (on dira vite « véristes ») souvent pleines de violence, sur des sujets assez proches les uns des autres, dont la jalousie amoureuse poussée à sa plus terrible extrémité est régulièrement le fil conducteur.
Le Napolitain Ruggero Leoncavallo, un peu plus âgé que Mascagni et grand admirateur de Verdi, avait déjà à son actif un grand opéra, Chatterton, qu’il n’avait pas encore créé, et rêvait à une sorte de pendant italien au Ring wagnérien autour des grands personnages historiques italiens.
Après un voyage en Égypte, Leoncavallo, qui n’a pas un sou en poche, s’installe à Milan et entend parler de Cavalleria rusticana. En quelques mois, il compose à son tour une œuvre courte en deux actes sur un argument tiré d’un fait divers, dont Leoncavallo dira qu’il lui a été raconté par son père, qui était magistrat en Calabre, et qui relatait un crime passionnel dans le milieu des saltimbanques. Peu importe que cela soit vrai ou non, le thème colle à plein avec la mode vériste dont ces Pagliacci – traduit par « Paillasse » en français alors qu’on aurait dû l’appeler « les clowns » – vont immédiatement devenir avec leur modèle romain l’un des emblèmes les plus célèbres. À tel point que depuis, Cavalleria rusticana et Pagliacci sont irrémédiablement collés l’un à l’autre comme deux frères siamois, même si, ces dernières années, d’autres couplages plus audacieux ont été tentés (souvent avec succès).
La création de Pagliacci, comme un écho à Cavalleria rusticana, a lieu deux ans presque jour pour jour après ce dernier. Mais à Milan cette fois – au Teatro dal Verme et non à la Scala, qui ne l’inscrira à son répertoire que plus de trente ans après – et sous la direction du jeune Arturo Toscanini.
En voici la scène finale, autre écho meurtrier à Cavalleria, ici dans la production mémorable des Chorégies d’Orange en 2009, avec un Roberto Alagna véritablement habité, une remarquable Inva Mula en Nedda et un Georges Prêtre aux tempi un peu allongés.