21 décembre 1934 : Le lieutenant-Nant ou l’autre arlésien(ne)
Instant classique – 21 décembre 1934… 85 ans jour pour jour. Au début des années trente, Sergueï Prokofiev vit en exil, et ce depuis la Révolution d’octobre. Il est établi en France depuis quelques années, mais le mal du pays finit par le saisir tout entier.
Une tournée en Union soviétique en 1927 avait rencontré un tel succès que son envie de rentrer devient désormais irrépressible. La promesse de conditions très confortables (une datcha, une voiture, etc.) que lui fait le gouvernement de Moscou décide Sergueï Prokofiev, pour le meilleur et pour le pire. Il ne pourra plus jamais repartir.
C’est pour un film qu’il reçoit, en 1933, la première commande soviétique. Il s’agit du Lieutenant Kijé, adaptation pour le grand écran de la nouvelle éponyme de Tynianov. Celle-ci raconte l’histoire burlesque et absurde d’une erreur de transcription dans un ordre du jour militaire durant le règne de Paul Ier. L’ordre du jour fait en effet apparaître le nom d’un lieutenant qui n’existe pas. Plutôt que d’avouer l’erreur, on préfère créer un personnage fantôme, que personne n’a jamais vu, mais dont tout le monde parle et se sert, même, pour expliquer des situations plus ou moins embarrassantes… Lorsque le tsar souhaite le rencontrer, on annonce donc que c’est impossible, car le lieutenant Kijé est mort…
Ce lieutenant-Nant, comme on l’a appelé en France, donne à Prokofiev l’occasion de composer une musique devenue très célèbre, moins à travers l’adaptation pour le cinéma que grâce à la suite pour orchestre qu’il en tire l’année suivant la sortie du film. Cette suite en cinq parties reprend les principaux thèmes de la « vie » du lieutenant : sa naissance fortuite, une romance un peu grotesque, le mariage de Kijé (auquel personne n’a assisté bien entendu), une troïka, chanson de hussards dont il ne vaut mieux pas entendre les paroles et, enfin, l’enterrement de Kijé, qui s’achève avec la même sonnerie qui a illustré sa naissance.
Parmi la myriade d’interprétations et d’enregistrements, celui de Claudio Abbado à Chicago brille de mille feux, qui plus est ici avec la partition pour orchestre !