1er février 1896 : Rimbaud n’a pas tout dit
Instant classique – 1er février 1896… 124 ans jour pour jour. Guillaume Lekeu est un de ces météores de l’histoire de la musique dont on ne finit pas de regretter tout ce que la mort a empêché qu’ils nous donnent.
Celui qu’on surnommait le « Rimbaud de la musique » est l’un des grands compositeurs de la fin du XIXe siècle ; pourtant, on ne le connaît pas. C’est que la fièvre typhoïde a décidé d’en priver le monde de l’art alors qu’il n’avait que vingt-quatre ans. Il laisse quelques partitions qui sont d’authentiques chefs-d’œuvre.
C’est le cas de ce quatuor avec piano, sa toute dernière création qu’il laisse inachevée. Il l’entame à la fin de l’année 1892 et se débat avec elle plusieurs mois : « Mon piano gémit, hurle et grince pendant la moitié de la journée, épouvanté, sans doute, des accords insolites que je l’oblige à traduire », écrit-il. Il présente des extraits durant l’été 1893 et emporte l’enthousiasme de ses amis, en particulier les membres du légendaire quatuor Isaye. En août, le voici en France (je n’ai pas précisé qu’il était Belge), à Barbizon. Il avance bien et se montre très content de son second mouvement, achevé en décembre 1893. Il assure à son père qu’il a trouvé le matériau thématique de la troisième partie et que celle-ci sera plus belle encore. Mais en janvier 1894, il meurt à Angers.
Vincent d’Indy achève le second mouvement sur la base des esquisses assez précises laissées par Lekeu, mais se refuse à écrire la suite ; le quatuor, avec piano, reste donc en deux parties : « Dans un emportement douloureux et très animé » et « Lent et passionné ».
Le 1er février 1896, à la Société nationale de Paris, le quatuor Ysaye, qui s’était montré si enthousiaste lors de la présentation des premiers extraits, fait le déplacement pour créer cette œuvre traversée d’un feu sacré. C’est rien moins que Claude Debussy qui est au piano.
Lekeu a beau vénérer Beethoven comme un dieu, il cherche un style, une forme, un langage bien à lui. Pour cela, il conçoit une sorte de programme : « La première partie de mon quatuor est pour moi le cadre de tout un poème de cœur où mille sentiments se heurtent, où aux cris de souffrance succèdent de longs appels au bonheur,… ou des cris d’amour succèdent au plus morne désespoir, cherchant à le dominer comme l’éternelle douleur s’efforce d’écraser la joie de vivre… Comme la seconde partie indiquera l’amour comme source de cette douleur, je suis obligé, en travaillant à la première, de songer constamment à la seconde, et de combiner tous les thèmes et dessins en sorte qu’ils puissent totalement s’unir à ceux qui viendront plus tard » … et qui ne viendront pas.
Écoutez-les, ces pages d’abord fougueuses et agitées, puis douces et sereines, comme suspendues et même résignées. Il faut songer qu’en les écrivant, Lekeu savait bien que sa vie finissait déjà. Comment ne pas y penser en entendant le souffle ultime du violon et le dernier pizzicato ?