18 avril 1824 : “Dieu au-dessus de tout. Dieu ne m’a jamais abandonné”
18 avril 1824… 197 ans jour pour jour – Ah… la Missa solemnis de Ludwig van Beethoven ! Quel immense chef-d’œuvre Quelle pièce monumentale ! Le compositeur lui-même écrit qu’il a achevé « l’œuvre la plus grande » qu’il ait « composée jusqu’ici ». C’est dire s’il faut l’écouter !
« Dieu au-dessus de tout. Dieu ne m’a jamais abandonné. » Rassurez-vous, le vil mécréant que je suis ne risque pas de vous dire une chose pareille. Mais Ludwig van Beethoven, qui n’était pas rancunier, l’a non seulement dit mais écrit, en tête de la partition du Credo de sa Missa Solemnis. Car voici juste cent quatre-vingt-dix-sept ans à Saint-Pétersbourg a lieu la première audition intégrale de ce grand chef-d’œuvre monumental. Et pourquoi à Saint-Pétersbourg ? C’est une longue histoire…
Déjà auteur d’une première messe (en ut), Beethoven aspire à écrire une nouvelle partition sacrée. S’il se tourne vers la spiritualité, c’est qu’il affronte dans les années 1810 une grave crise existentielle, bien sûr aggravée par sa surdité devenue totale, qui laisse désemparé ce croyant non pratiquant. Peu à peu, l’idée d’une nouvelle messe grandit et il commence par le « Kyrie » dès 1818. Beethoven aimerait l’adjoindre à un moment important, comme pour en marquer toute la solennité. Il avait dédié la Messe en ut à l’archiduc Rodolphe de Habsbourg, frère de l’empereur François, à qui Beethoven avait enseigné un peu de musique. Or, ce même archiduc devient en 1819 cardinal, puis archevêque d’Olmütz.
Beethoven lui écrit : « Le jour où une messe solennelle composée par moi sera exécutée durant les cérémonies de consécration de Votre Altesse impériale comptera parmi les jours les plus glorieux de ma vie, et Dieu m’assistera afin que mes pauvres talents puissent contribuer à la gloire de ce jour. » Bon, il faut dire que notre compositeur grognon a raté son coup. Pour les cérémonies en question, en mars 1820, la future Missa solemnis ne sera pas du tout terminée. Mais peu à peu, le compositeur prend conscience de l’importance de ce qu’il construit pas à pas et qui prend des dimensions inhabituelles puisque l’œuvre dure presque une heure et demie.
Au printemps 1820, le « Gloria » est déjà commencé. Suit le « Credo ». Puis le « Sanctus » et le « Benedictus », jusqu’en 1821. Et enfin « l’Agnus Dei » jusqu’en 1822. En même temps, il compose un grand nombre d’autres œuvres (quelques bagatelles, les dernières sonates pour piano, les variations Diabelli, mais aussi un autre monument, la Neuvième symphonie), ce qui explique aussi le temps qu’il a mis à composer la messe.
Le 5 juin 1822, il écrit à Peters, éditeur à Leipzig, et lui dit en toute simplicité qu’il a achevé « l’œuvre la plus grande » qu’il ait « composée jusqu’ici ». Et il souligne « grande ». Il ne faut pas se méprendre : Beethoven n’est pas coutumier du fait. Conscient de sa valeur, volontiers grandiloquent pour dire qu’il compose pour les temps futurs, il ne prétend pas à tout bout de champ que ses œuvres sont « grandes ». Mais pourtant il le sait.
Bien qu’il écrive à plusieurs éditeurs, Beethoven préfère lancer une souscription auprès des grands aristocrates et autres cours européennes. Petit coup à son ego : personne ne souscrit. Ou plutôt si : dix, ce qui n’est pas tout à fait rien mais reste très modeste. Et parmi eux, le tsar Alexandre, tout de même, ainsi que le prince Galitzine. Et voilà pourquoi, noblesse impériale oblige, la Missa solemnis est créée dans son intégralité pour la première fois à Saint-Pétersbourg.
Il faudrait une thèse pour parler de cette partition, et d’autres bagages musicologiques que les modestes miens. Je n’irai donc pas plus loin, sauf pour vous dire que j’ai choisi pour vous l’un des sommets telluriques de l’œuvre, le Quoniam – qui figure dans le Credo – dans une interprétation qui pourra vous paraître datée, mais qui compte parmi les plus légendaires des enregistrements beethovéniens : celle d’Otto Klemperer, en 1963.
À chaque jour son instant classique !
Rubrique : éphéméride