16 décembre 1877 : Bruckner ou la certitude du doute
Nous fêtons aujourd’hui la création de la 3e symphonie de Bruckner, plus complexe et riche que ses deux premières. Et comme d’habitude, le compositeur doute, au point de reprendre, corriger, mutiler constamment sa partition dont nous connaissons plusieurs versions.
Pendant toute l’année 1873, Anton Bruckner compose sa troisième symphonie, qui constitue une évolution notable de son style, de plus en plus complexe et riche. À presque cinquante ans, il est alors, depuis la découverte du Tristan und Isolde de Wagner, subjugué par ce dernier, qui restera son idole pour le restant de ses jours.
Dans sa nouvelle symphonie, il place donc des citations d’œuvres wagnériennes et dédie son œuvre à Wagner, « avec le plus grand respect », de sa belle écriture très appliquée sur la première page de la partition. Richard Wagner a plus ou moins accepté cette dédicace, non sans un brin de condescendance, mais il faut reconnaître qu’il défendra l’œuvre de Bruckner contre ses détracteurs, au premier rang desquels l’impitoyable Brahms et son affidé, le terrible critique Hanslick.
Mais voilà, sitôt sa symphonie achevée, à la toute fin de l’année 1873, Bruckner, comme à chaque fois, doute. Il ne publie pas sa partition, tourne en rond, hésite, corrige une première fois dès 1874 puis continue de douter. En 1876, il décide de reprendre son œuvre et de la corriger substantiellement, en particulier le second mouvement “adagio”, mais aussi le premier mouvement, d’où il retire des citations de Wagner. C’est cette nouvelle version qu’il présente à Vienne ce 16 décembre 1877.
Le chef Johann von Herbeck doit conduire l’orchestre, mais il meurt un mois avant le concert. C’est donc Bruckner qui dirige. Mais il est terriblement maladroit et sa musique est complexe. Les auditeurs, peu réceptifs, quittent peu à peu la salle en plein concert… et les musiciens aussi.
Le désarroi du compositeur est total. Il pense donc que son œuvre est mauvaise et la remet sur le métier immédiatement. Il la réduit – sauf le scherzo – dans une édition qui paraît en 1878 et qui constitue la « bonne » référence. Mais, dix ans plus tard, quelques beaux esprits poussent le vieux maître à la reprendre encore. Il s’y oppose, mais il s’exécute, comme impuissant à résister à ses propres doutes, et mutile littéralement sa partition, notamment le dernier mouvement. Par un triste coup du sort, c’est cette dernière version de 1889 qui est choisie par la plupart des grands chefs brucknériens du XXe siècle, avant qu’un retour vers la version originale commence à s’opérer ces dernières années.
C’est à cause de tous ces revirements que j’ai choisi le premier mouvement de la symphonie, celui qui a finalement été le moins malmené des quatre, ici par l’incontournable Sergiù Celibidache, toujours aussi lent, mais d’une précision sans faille.
À chaque jour son instant classique !
Rubrique : Éphéméride