16 avril 1198 : pour Notre-Dame… naître avant de renaître
Instant classique – 16 avril 1158… 862 ans jour pour jour. Il y a un an et un jour, le 15 avril, je n’ai pas besoin de vous rappeler ce qui a brûlé, même si tant de choses se sont passé depuis, sans même évoquer ces dernières terribles semaines. C’est l’occasion de vous parler d’un grand musicien du temps des cathédrales.
On sait peu de choses sur Pérotin. Son nom apparaît dans un traité de Jean de Garlande, professeur à l’Université de Paris, au milieu du XIIIe siècle. Il décrit Pérotin comme l’auteur de grands “Organa” à quatre voix en tête du Grand Livre de Notre-Dame, le Magnus Liber. Bien plus tard, au XIXe siècle, c’est le musicologue Edmond de Coussemaker qui révèle des écrits théoriques de cette époque ; parmi eux, un traité évoque à la fois Maître Léonin, compositeur d’organum (on dirait organiste, mais il s’agit là de voix) et de Pérotin le Grand, « optimus discantor », qui a enrichi le travail de Léonin.
Le fameux Magnus Liber évoqué par Jean de Garlande est retrouvé à la toute fin du XIXe siècle à Florence et authentifié. D’autres manuscrits sont également révélés à Madrid et en Allemagne. De tout ceci, on est arrivé à tirer de façon certaine sept manuscrits composés par Pérotin, dont quatre “organa” pour quatre voix : Viderunt Omnes, pour Noël ; Sederunt Principes, pour la fête de Saint-Étienne ; Alleluia posui, organum à trois voix ; Alleluia Nativitas, à trois voix également pour la nativité de la Vierge ; et trois « conduits ». Rien qu’avec ces compositions, on sait que Pérotin se place parmi les plus grands musiciens de son temps.
Pérotin, diminutif de Pierre, est présenté par Jean de Garlande comme quelqu’un qui vient de disparaître au milieu du XIIIe siècle, et qui aurait réalisé un « conduit » pour le sacre de saint Louis en 1226. Pérotin aurait donc vécu entre le dernier tiers du XIIe siècle et le premier tiers du siècle suivant. Certains pensent que ce fameux Pérotin aurait pu être un « sous-chantre » (Petrus Succentor), mentionné dans divers manuscrit comme prêtre, ce qui serait plausible. La grandeur de Pérotin tient notamment à l’évolution de la technique qu’il enrichit et complexifie à partir des œuvres de Léonin. Ainsi, l’organum, une des premières formes polyphoniques, apparu au Xe siècle, va être abrégé. Pérotin utilise six modes rythmiques, alors que Léonin en utilisait un seul, et écrit surtout pour trois ou quatre voix.
Le Viderunt Omnes est sans doute l’exemple le plus saisissant de l’art de Pérotin. Il se divise en trois sections : la première fait entendre les syllabes des mots « Viderunt Omnes », selon des valeurs longues. Au-dessus, trois voix échangent de courts motifs aux rythmes semblables. Les voix de même tessiture se croisent et s’imitent. Cet art de l’imitation va devenir la base de l’écriture contrapuntique jusqu’à Bach. La seconde partie est un plain-chant et la dernière se consacre à un verset des Évangiles.
On sait avec quelque certitude que ce Viderunt Omnes a été exécuté en 1198 à Notre-Dame, en pleine construction déjà depuis plus de trente ans. À cette époque, le chœur et ses deux déambulatoires étaient déjà réalisés, de même que les quatre dernières traversées de la nef, les bas-côtés et les tribunes. Au moment où Pérotin inaugure l’école de Notre-Dame, la base de la façade vient d’être commencée, ainsi que les deux premières travées de la nef. Il n’a pas dû voir la construction des tours et de la façade entière, mais son chant y a sans doute résonné lorsque la première grande phase de la construction est terminée en 1250.
Voici donc ce Viderunt Omnes, écrit pour Noël.
Une naissance, donc.
En attendant la renaissance.
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Crédits photographiques : LeLaisserPasserA38 / Wikipédia
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