14 janvier 1910 : oh mais ne prends pas ce ton là avec moi, hein !
Avec Schönberg, il n’y a que les titres qui sont faciles… Pour ce qui est de sa musique, c’est une autre paire de manche ! Il faut s’accrocher aux cordes ou à ce que vous pouvez. Essayez avec ces « trois pièces » créées il y a 112 ans aujourd’hui à Vienne, qui vont faire basculer la musique dans l’atonalité, et vous verrez par vous-mêmes.
Avec Arnold Schönberg, la musique pour piano, c’est facile. Si, si. Il y en a peu et on retient facilement leur titre : « trois pièces »; « cinq pièces »; « deux pièces »; « six petites pièces » et… une suite. Voilà.
Bon, en fait, il n’y a que ça d’assez facile. Pour le reste, il faut s’accrocher aux cordes ou à ce que vous pouvez. Tenez, par exemple, ces « trois pièces », les premières de sa production pianistique, ont été composées par Schönberg en 1909 et créées voici cent douze ans aujourd’hui à Vienne.
Le compositeur reste alors encore fidèle à la tonalité, fondement de la construction musicale jusque-là et avec laquelle de nombreux confrères de l’époque jouent aux limites de ce qu’elle permet normalement (Scriabine, Mahler, Stravinsky ou même Ravel…). Ces trois pièces vont faire basculer l’histoire de la musique dans l’atonalité, petite révolution qui n’est en fait qu’une évolution et qui, on le sait, n’a pas été un renoncement pour tous ni pour toujours.
Chaque pièce comporte une sorte de titre, qui est en fait une indication : 1. À la noire modérée, pièce plutôt courte, simple et qui reste redevable à la tonalité. Idem pour la seconde, plus longue (2. À la croche modérée). Ces six minutes sont même les plus longues de toute l’œuvre pianistique de Schönberg qui a au moins l’élégance de ne pas faire trop durer le plaisir… Là encore, on reste dans le « normal » assez déstructuré quand même. Il faut souligner que le grand pianiste et compositeur Busoni aimait beaucoup cette pièce, mais la trouvait trop pauvre pour le virtuose qu’il était (ben oui, une petite note ou un petit accord par-ci par-là, c’est un peu morne pour l’instrumentiste). Il en avait fait une grande pièce de concert enrichie à la crème fraiche après de nombreux échanges avec Schönberg qu’on devine peu ravi…
Et puis vient la troisième et dernière pièce (3. À la croche agitée… Y a pas que la croche…), trois minutes peu ou prou qui commencent par vous glacer le sang et où Schönberg balance tout : son solfège, ses classiques, ses thèmes. Pour un changement de ton, il se pose là l’Arnold. Évidemment, il s’agit, dit-on, de la première œuvre proprement atonale de l’histoire de la musique, puisqu’elle a été composée juste avant les Cinq mouvements pour un quatuor à cordes de Webern, son élève (encore une franche partie de rigolade). C’est le début du chemin qui mènera Schönberg jusqu’au dodécaphonisme une décennie plus tard. Mais c’est là une autre histoire.
Maurizio Pollini ne s’endort pas sur ces pièces si novatrices, et on admirera la délicatesse du toucher. Du moins jusqu’au début de ce fameux 3ème mouvement, où il entreprend de nous réveiller. Mais comme vous le voyez sur la partition, l’auteur ne lui laisse pas le choix (à partir peu ou prou de 11’10).
À chaque jour son instant classique !
Rubrique : « Le saviez-vous ? »