12 novembre 1888 : Tchaïkovsky fait un Hamlet
Instant classique – 12 novembre 1888… 131 ans jour pour jour. Piotr Ilitch Tchaïkovsky a eu plusieurs rendez-vous avec Shakespeare, et le dernier serait pour Hamlet.
En 1876, son frère Modeste lui suggère carrément de faire un opéra à partir d’une œuvre shakespearienne. Othello, ou bien Hamlet. Le compositeur trouve alors l’idée séduisante, mais « diablement difficile« . Il faut dire qu’il avait quelques années auparavant écrit une critique des plus raides de l’adaptation mise en musique par Ambroise Thomas, seule transposition à l’opéra de l’œuvre de Shakespeare qui soit passée à la postérité. Tchaïkovsky l’avait trouvée plate, inintéressante, mais en précisant que le sujet lui-même rendait une adaptation lyrique très complexe, par sa noire ironie. Donc, courageux mais pas téméraire, le compositeur ne s’y risque finalement pas.
Quelques années après, des brouillons épars montrent qu’il y pense toujours. C’est Lucien Guitry, en tournée en Russie, qui lui demande au début de l’année 1888 de lui écrire une ouverture et une musique de scène pour cette pièce, qu’il doit jouer au printemps pour une œuvre de charité à Saint-Pétersbourg. C’est le déclic. Tchaïkovsky se lance à corps perdu dans sa partition… avant d’apprendre que la représentation n’aura finalement pas lieu.
Mais tant pis, il fonce pour composer une ouverture-fantaisie, comme pour Roméo et Juliette, et ce parallèlement à sa cinquième symphonie. Fin octobre, il écrit à sa muse et mécène Mme von Meck : « J’ai terminé l’instrumentation de mon ouverture, j’ai fait d’innombrables corrections dans la symphonie, et maintenant je me prépare à diriger tout ce qui doit être joué dans les prochains concerts« . De fait, le 5 novembre (je triche un peu : c’est le calendrier julien. Il y a donc deux semaines de décalage), la cinquième symphonie est présentée à Saint-Pétersbourg et une semaine plus tard, c’est au tour d’Hamlet, au même endroit. Il dédie sa partition à son ami norvégien Edvard Grieg, qui ne se sent plus de joie lorsqu’il l’apprend.
Mais décidément, Tchaïkovsky n’a pas la baraka. Son ouverture est quelque peu boudée par le public et par la critique. On lui reproche en gros de ne pas avoir accompagné son œuvre d’un programme propre à l’éclairer… et on lui dit que, de toute façon, l’œuvre de William Shakespeare est intraduisible en musique.
C’est une partition aussi agitée que peut l’être le personnage, même si on ne sait pas s’il s’agit toujours de lui, de son destin ou de tout à la fois. Moins immédiatement séduisante que l’immortel Roméo et Juliette, elle n’en est pas moins très intéressante, avec cette atmosphère lourde dont on ne peut pas dire qu’elle passe à côté de son sujet.
On oublie souvent que l’on doit à Riccardo Muti l’une des meilleures intégrales des symphonies et des poèmes symphoniques de Tchaïkovsky, avec l’orchestre de Philadelphie dont il fut le directeur musical dans les années 1980. Voici sa lecture d’Hamlet, théâtrale comme elle ambitionnait au départ de l’être et comme le très autoritaire chef napolitain aime et sait l’être.