Jacques Gamblin : « Je ne me retrouve pas dans la logique consumériste qui se fout de demain ! »

Jacques Gamblin : « Je ne me retrouve pas dans la logique consumériste qui se fout de demain ! »
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C’est un discours particulièrement musclé, écrit dans une langue ciselée, que Jacques Gamblin a prononcé sur l’écologie, dans le cadre du Parlement sensible des écrivains : « Je suis un militant de peu, qui ne se retrouve pas dans la logique consumériste qui semble se foutre de demain », a-t-il ainsi clamé. Toute la journée du 1er février, au théâtre du Vieux-Colombier, des artistes se sont ainsi succédés pour partager un seul et même cri : l’urgence à agir en faveur du climat.

Le Parlement sensible des écrivains est un événement qui aurait dû avoir lieu le 14 novembre 2015 à l’Assemblée nationale, mais fut annulé suite à l’état d’urgence, au lendemain des attentats qui ont frappé Paris. Il s’est déroulé le 1er février dernier au théâtre du Vieux-Colombier.

Le climat selon Jacques Gamblin

C’est dans ce contexte que Jacques Gamblin a prononcé un discours remarquable et remarqué, intitulé : « Mon climat ». Ce « mon » est l’ expression d’un « ressenti », notion devenue incontournable pour traiter toute problématique : « La réalité a donc perdu ses billes, plus de noir, plus de blanc, que du sensible et du subjectif […]  Le ressenti individuel a supplanté la réalité générale ». Non sans ironie, il annonce qu’il ne fera de reproche à personne, mais se contentera d’exprimer son ressenti.

Mais c’est bien une vaste critique de nos élites qu’il entreprend au fil des mots. Pas d’accusation défaitiste néanmoins, simplement une invitation à renverser les paradigmes dominants. Car Jacques Gamblin est pétri de désir, terme qui revient régulièrement dans sa bouche. Il se positionne comme un dépositaire d’une réalité qu’il reçoit et qui le dépasse : « Rien n’est réellement à moi, ni ma petite ou grande maison, mon petit ou grand jardin, je vis sur un morceau de terre et sous un morceau de ciel qu’on me prête. Je ne suis pas le premier à le dire : quelqu’un me prête ce que je possède. »

« L’heure de mettre les mains dedans »

Il ne parle ainsi pas en expert, ni en donneur de leçon, mais en « militant de peu, qui ne se retrouve pas dans la logique consumériste qui semble se foutre de demain ». Il le fait avec d’autant plus de vigueur qu’il est lui-même de cette génération qui a grandi dans un consumérisme effréné : « J’aime la modernité et ses inventions si elle améliore et simplifie l’ancienneté, si elle n’est pas bouffeuse de kilowatts et si sa vraie raison est de soulager la vie des gens et non de créer des besoins inutiles. »

Dressant une liste amère de mesures stupides prises aux quatre coins du monde par les dirigeants, il apporte son soutien au monde associatif, à la joie qu’il y a d’agir, tout en invitant fermement à « transmettre l’écologie, dès le plus jeune âge dans les écoles, comme une vraie matière qui pèse son vrai poids ».

Contre la résignation et la victimisation, il invite chacun à agir, personnellement, petitement, concrètement : « Il est juste l’heure de mettre les mains dedans, de faire de toutes petites choses multipliées par des milliards de toutes petites, qui montrent le chemin de nos désirs aux politiques peureux, de montrer l’exemple à nos décideurs qui décident si peu, parce qu’ils pissent dans la culotte de leur impopularité. Rassurons-les, ils en ont besoin. »

« Faut baver du palpable ! »

Tous ont un rôle à jouer dans ce changement de mentalité : les politiques, les experts, les industriels, les médias… L’heure n’est plus aux discours et aux analyses, mais à l’action réelle.

« Mettez de la terre et du ciel entre vos dents, mais ne parlez plus la bouche pleine, et transpirez de la décision. Tombez les chemises et les cravates pour courir après demain, arrêtez les ascenseurs et les tapis roulants de l’inertie […] Faut aller dans le grand bain, brasser du concret, stopper la parleriez, multiplier les muscles et arrêt de ramper avec la langue, elle a assez tourné : faut baver du palpable ! »

Aux grands groupes industriels, il demande de retrouver les racines qui ont permis leur développement, en indiquant à nouveau « la belle route du collectif et du bien-être […] ce qui vous et nous élève vers les cimes de la bonne santé de la tête et des jambes ». Car ce sont ces groupes qui peuvent apporter des solutions techniques, c’est-à-dire le moyen de mettre en œuvre les nombreuses idées susceptibles d’améliorer le quotidien de la planète, de la nature, donc des hommes.

Médias, montrez-nous les conquérants de l’ombre !

Cette prise de conscience s’adresse tout autant aux médias, dont la responsabilité se joue dans le choix des informations distillées à longueur de journée sur les ondes, à la télévision et dans la presse écrite. Profession Spectacle ne fait évidemment pas exception, et nous souhaitons prendre à bras-le-corps le conseil qu’il nous donne, que nous reproduisons ici comme un rappel de l’humble mission qui est la nôtre.

« Et vous aussi, médias, de toutes couleurs et de toutes formes, je vous en prie, pédagogisez les infos. Nous ne sommes que d’éternels enfants. Offrez-nous de beaux exemples : nous avons besoin d’admirer, pour imiter. S’il vous plaît, déployez les gorges de ces inconnus qui inventent de l’alternative positive tous les jours au réveil.

Il y a des milliers de conquérants dans l’ombre qui ont arrêté la glose et creusent des solutions à mains nues, à mains propres. Nous voulons les connaître, nous, vos chers auditeurs, entendre leur souffle, leurs gestes, leurs idées qui transpirent, la sueur perlée de leurs consciences. Ils s’en foutent, eux, du ressenti du climat, de la langue de bois déraciné de certains de nos élus et de l’info des kilomètres de bouchons au petit matin. Eux, ils avancent dans le réel et dans le pragmatique, avec des initiatives qui imposent le respect et soulèvent les casquettes. Ces hommes-là, qui ont décidé le bonheur de faire et de créer, de prouver que le pire n’est jamais sûr, n’attendent plus rien de quiconque : ils cultivent, ils cherchent jour et nuit, prennent de l’avance sur les vieilles habitudes, inventent un autre confort, une autre cohérence, une autre philosophie, un autre art de vivre, moderne et sans frontières.

Oui, ce sont ceux-là que j’ai envie d’écouter, avec mes oreilles bien ouvertes et disponibles, c’est avec ceux-là qu’il faut faire des Une et qu’il faut faire du bruit. Ce sont ceux-là qui, bouches fermées, nous ouvrent la voie du beau, du bon, et que la terre remercie au crépuscule. »

Ce sont ces personnes, marchant déjà sur la route des possibles, que Jacques Gamblin souhaite entendre, encore et encore.

Pour vivre heureux, vivons logiques

Chacun peut in fine prêter une attention croissante aux gestes du quotidien, à l’utilisation de l’électricité et de l’eau, à la rigueur du tri sélectif… « que des petites conneries de tous les jours, que mon père qui ne votait pas écologique, mais qui vivait logique, m’a transmises ».

Jacques Gamblin termine son palabre par un sympathique et humoristique éloge du deux-roues, vieux compagnon de route et véritable avenir de l’homme, après la femme d’Aragon : « Plus nous serons nombreux et plus ils auront peur de nous, jusqu’à plus de peur du tout car un jour, il n’y aura que nous, et le Français dépressif aura le sourire en liberté. »

Et l’orateur de conclure : « Ma colère est joyeuse, ma rage entreprenante, mon idéalisme chevillé au corps, ma capacité d’étonnement sans failles, et ma naïveté lucide. Quant au climat ressenti, il est partout : la terre dans mon ventre, la mer sous mes bras et le ciel dans ma tête. Partout, je vous dis. »

Le comédien a parlé, à nous de jouer, à notre place, à la mesure de notre conscience et de notre désir.

Michel LE GRETHANC

Collectif, Du souffle dans les mots. 30 écrivains s’engagent pour le climat, Arthaud, 2015, 319 p., 15,50 €.

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