Entrée en matière
Critique dramatique et rédacteur en chef des Lettres Françaises, directeur de la publication et rédacteur en chef de Frictions, Jean-Pierre Han est une des plumes incontestées du monde théâtral, privilégiant une approche essentiellement politique. Il ouvre aujourd’hui une nouvelle chronique mensuelle et propose aux lecteurs de Profession Spectacle de la suivre dans un vagabondage théâtral.
« VAGABONDAGE THÉÂTRAL »
Il fut un temps où, soir après soir, les critiques dramatiques se retrouvaient régulièrement au théâtre.
Il est vrai qu’il n’y avait pas plus de trois ou quatre générales ou premières par semaine. Aujourd’hui avec la multiplication des spectacles, ces « retrouvailles » sont devenues impossibles. On ne regrettera pas forcément le fait de ne pas côtoyer nos « collègues » lors des représentations, il en restera d’ailleurs toujours quelques-uns à avoir fait le même choix que vous, mais il faut bien avouer que ce phénomène de dispersion, pour l’appeler ainsi, est fort troublant et ne contribue pas à rendre le cérémonial théâtral plus lisible, même s’il ne s’agit pas de regretter des coutumes d’un autre temps correspondant à un théâtre d’un autre temps, mais enfin pour ce qui concerne le temps présent c’est la grande pagaille.
Le phénomène existe depuis de longues années – on pourra toujours le dater avec les premières années Jack Lang au ministère de la culture pendant lesquelles, robinets des subventions grands ouverts, beaucoup profitèrent de l’aubaine ; de nombreuses équipes théâtrales furent créées. Mais on pourra immédiatement rétorquer qu’aujourd’hui, les robinets ayant été soigneusement fermés, le phénomène se développe toujours et de manière exponentielle… Je laisse à d’autres le soin d’apporter quelques explications sur ce phénomène paradoxal, et ne veux que souligner les conséquences de cette multiplication.
Avec une centaine de spectacles répertoriés à la rentrée de septembre-octobre, puis avec encore un chiffre supérieur à la rentrée de janvier, il va de soi, la semaine ne comportant que sept jours, qu’il est impossible de tout voir ! Le premier acte critique consiste dès lors à choisir (forcément sur dossier ou par ouïe-dire), les spectacles auxquels l’intéressé entend assister… Autrement dit, avant même d’avoir mis les pieds dans un lieu théâtral, le critique aura déjà opéré un choix critique selon les critères qui sont les siens. Enfin pas tout à fait.
Les contraintes sont si astreignantes que parler de liberté de choix pourra paraître dérisoire. Car enfin comment ne pas « choisir » les grand spectacles, ceux de l’« excellence artistique », avec les produits humains du moment en promotion, comment ignorer les spectacles se donnant dans des grandes institutions (Comédie-Française, Théâtres nationaux…). Sauf bien sûr à vous faire rappeler à l’ordre, par votre chef de rubrique ou votre rédacteur en chef, voire carrément par vos lecteurs. Votre choix est également conditionné par la durée d’exploitation du spectacle dont vous voulez rendre compte. Inutile, sauf par pur plaisir ou pur masochisme, de vous déplacer pour des spectacles ayant une durée de vie de quelques jours seulement. Les journaux ne publient pas d’articles de spectacles qui ne se joueraient plus à la parution de votre critique.
Dans ces conditions on comprend aisément que les « petits » spectacles de jeunes équipes essayant de se faire connaître n’ont pratiquement aucune chance d’exister médiatiquement…
Belle perspective que ce vagabondage!