Les tiers-lieux culturels, outils de la gentrification malgré eux ?
Sixième et dernier volet de notre passionnante série sur les espaces culturels émergents ou intermédiaires. Cassandre Jolivet, auteure d’une thèse professionnelle sur le sujet dans le cadre de la Burgundy School of Business de Dijon, s’intéresse sur une problématique peu connue en France, bien qu’abondamment traitée à l’étranger : la gentrification. Limite ou réussite ?
Lieux intermédiaires (6/6)
Caractéristiques géographiques, politiques locales, habitants et leur histoire… Nous l’avons vu tout au long de notre série d’articles, les lieux culturels intermédiaires sont indissociables du territoire auquel ils appartiennent. Entre se réjouir du développement de projets à forte dimension sociale, sources d’attractivité, et se faire critique de lieux qui illustrent une gentrification certaine, difficile de savoir sur quel pied danser. Quel bilan dresser du rôle de ces espaces dans le développement des territoires ?
Des lieux porteurs d’une nouvelle configuration des territoires, sur la base d’une économie locale et durable
Dans une société où le divertissement prend une place importante, les industries créatives n’ont jamais eu autant de succès et bénéficient aux territoires. Les centres culturels émergents font partie de la catégorie des biens et services de la culture dits « non-mobiles¹ », qui ont un lien fort avec les territoires car ils supposent un déplacement des publics, ce qui engrange des retombées économiques et, dans certains cas, du tourisme.
Aussi bien en ville qu’à la campagne, les espaces culturels émergents participent au développement d’écosystèmes : ils créent une activité économique et une consommation locales, qui donnent lieu à une croissance durable sur un territoire². Cette notion de durabilité est d’ailleurs au cœur des valeurs sociales et solidaires défendues par ces lieux, qui s’inscrivent dans les nouveaux modèles d’entrepreneuriat.
Des lieux attractifs et générateurs d’une mobilité qui n’a pas seulement des effets positifs
Ces espaces culturels nouveaux contribuent au développement des territoires du fait qu’ils attirent des personnes porteuses d’une valeur ajoutée : la « classe créative³ ». C’est une idée théorisée par Richard Florida, qui conseille aux villes de mettre en place un environnement favorable pour attirer ces personnes créatives, qui auraient le potentiel de dynamiser l’économie, à l’image par exemple des clusters culturels urbains. Souvent reprise mais aussi critiquée, cette thèse soulève une autre question, celle de la gentrification.
Les espaces culturels intermédiaires installés dans des quartiers défavorisés, à l’abandon ou en transition dans une stratégie des politiques locales de les régénérer, ont parfois des répercussions non attendues. En effet, ils attirent bien une classe créative qui contribue à la création d’un nouveau dynamisme, mais au détriment des habitants d’origine. En apparence le territoire se régénère, mais en réalité la richesse est celle de la classe créative. Les personnes présentes initialement vont alors vers les banlieues ; le problème est plus déplacé qu’effacé, ce qui va à l’encontre des valeurs sociales et solidaires défendues par ces lieux.
Sont-ils alors victimes de leur succès ?
Ce constat pose un nouveau débat, toujours d’actualité comme ces lieux continuent de se développer. S’il est vrai qu’on ne peut ignorer la gentrification, il faut aussi relever l’initiative de certains projets qui travaillent avec les habitants locaux afin de s’enraciner dans le quartier et être le lieu de tous.
Cassandre JOLIVET
Lire aussi :
- 1/6 – Comment appréhender les espaces culturels émergents ?
- 2/6 – Lieux intermédiaires et lieux traditionnels, quelles différences ?
- 3/6 – L’économie sociale et solidaire au cœur du projet des lieux culturels émergents
- 4/6 – Lieux culturels émergents et pouvoirs publics : une relation à plusieurs facettes
- 5/6 – Lieux culturels émergents : arts des villes et arts des champs
Notes
¹ Leriche F., Daviet S., “Cultural Economy: An Opportunity to Boost Employment and Regional Development?”, Regional Studies, vol. 44, n°7, 2010, p. 807-811
² Markusen A., “A consumption Base Theory of development: An Application to the Rural Cultural Economy”, Agricultural and Resource Economics Review, vol.36, n°1, April 2007, p. 9-23
³ Florida, R., “Cities and the creative class” City and Community, vol.2, 2003, p. 3-19
Photographie de Une – Friche Babcock à La Courneuve