Les droits culturels sont universels, pas dogmatiques !

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Jeudi 30 mars 2017 s’est tenu le 23e congrès de la Fédération Nationale des collectivités pour la culture (FNCC). Participant à l’atelier sur les droits culturels, je me découvre alors de faux amis, prompts à affirmer leur vérité : « Les droits culturels constituent une menace dogmatique ». Cette vérité apprise en appelait deux autres, afin de stopper les fausses controverses et de réaffirmer l’universalité de ces droits fondamentaux de la personne humaine.

« Signes de pistes pour les droits culturels », la rubrique du Doc Kasimir Bisou

Vérité apprise : le dogmatisme de certains tenants des droits culturels

Depuis que l’obligation de respecter les droits culturels des personnes a été introduite dans la loi NOTRe, quelques bons esprits habitués à Télérama ou à France Culture l’ont ignorée. D’autres essayent de savonner la planche des droits culturels en invoquant la multiplicité des interprétations. D’où le mot d’ordre : « Ne vous laissez pas intimider par les discours ‘‘dogmatiques’’ de certains défenseurs des droits culturels ». Bref, ne changez surtout rien à vos pratiques.

Lors de l’atelier du 30 mars dernier, Frédéric Lafond, président de l’association des directeurs de la culture des collectivités (Fnadac) et Jean-Pierre Saez, directeur de l’observatoire des politiques culturelles (OPC), ont confirmé ce plan anti-dogme, propre à rassurer les institutions culturelles face à la menace des droits culturels des personnes.

Jean-Pierre Saez a ainsi détecté « certains aspects doctrinaires » dans les arguments des défenseurs des droits culturels ; ceux-ci se considérant comme les porteurs « d’une certaine vulgate », il y a par conséquent « nécessité de se tenir à distance de tout dogme ». Cette même défiance se retrouve sous la plume de Helga Sobota, directrice de la culture à Nantes : « Les droits culturels sont une source d’inspiration importante… mais il est, me semble-t-il, tout aussi important que l’on ne remplace pas un dogme par un autre ou que l’on ne s’épuise pas dans l’interprétation ou les réinterprétations qu’il convient d’en faire ».

Devant un tel tir groupé, il fallait arrêter de rire ! Il est toujours bon de dénoncer les « dogmatiques », encore faut-il les nommer : qui sont-ils ? Aucune réponse ! Aucune citation à l’appui de l’accusation. L’ennemi est partout avec sa vulgate sous le bras ; il effraie mais n’a pas de nom ! Lors de l’atelier, j’ai donc posé la question à Jean-Pierre Saez et Frédéric Lafond. Droit dans les yeux : « Qui sont ces dangereux dogmatiques des droits culturels ? Dites-le, sans détour ! » J’ai compris, de la gêne occasionnée, que j’en étais. Comme disait si bien Pierre Mendes-France, ça fait du bien de connaître la vérité en politique. Dogmatique, je suis ! J’ai compris, du même coup, pourquoi je ne suis plus invité dans aucun colloque piloté par l’OPC, depuis que la loi NOTRe a fait du respect des droits culturels des personnes une responsabilité républicaine !

L’accusation étant prononcée, est-elle pour autant fondée ? La réponse est négative. Pire, l’accusation est calomnieuse et nécessite réparation. La vérité apprise ne tient pas devant l’affirmation d’une seconde vérité, qui devrait éteindre la controverse.

Vérité affirmée : l’universalité fondamentale des droits culturels

L’accusation de dogmatisme est infondée car elle est ici la métaphore d’une obligation illégitime ! Nous sommes dans un État de droit et notre pays démocratique s’est fait obligation de respecter les principes des droits fondamentaux consignés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Voici la vérité : les droits culturels sont une facette indissociable de ces droits humains fondamentaux, lesquels sont indivisibles mais aussi universels. Par conséquent, se référer aux droits culturels, c’est inévitablement affirmer l’universalité des droits humains fondamentaux. C’est affirmer l’idée universelle que les êtres humains sont libres et égaux en dignité, minimum vital pour notre démocratie.

Nul ne peut s’en exonérer, pas plus un élu qu’un directeur de la culture, pas plus à Grenoble qu’à Nantes ou Saint-Étienne, pas plus dans un Centre dramatique que dans une Scène de musiques amplifiées ou une compagnie des arts de la rue !

Certes, beaucoup de forces politiques sur notre planète considèrent que les droits humains sont relatifs ou arbitraires, qu’ils ne sont que des énoncés moraux et non politiques – douteux en somme. Pour prendre la mesure de ces critiques, il suffit de lire l’excellente contribution de Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère détaillant ces « procès des droits de l’homme ». Pour autant, on doit aussi mesurer le risque de renoncer à l’universalité des droits fondamentaux. Il est majeur puisqu’il conduit à accepter la légitimité d’autres valeurs que celles de la reconnaissance de la liberté et de l’égale dignité des personnes pour forger notre humanité commune ! Ainsi, juger « dogmatique » la défense des droits humains fondamentaux revient-il immédiatement à considérer qu’un autre monde de valeurs est possible, où les femmes pourraient ne pas être égales aux hommes, où les Occidentaux n’appartiendraient pas à la même humanité que les Orientaux, où les mieux pourvus pourraient maintenir légitimement leur domination sur les plus faibles, sans recours !

Imaginez une seconde un élu à la culture annonçant, sur les conseils de son directeur de la culture, qu’il se fiche de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qu’il veut casser le « dogme » de la liberté de ses concitoyens et que sa mission est, à l’inverse, de conduire le peuple sur le seul droit chemin de la « vraie » culture ! Ce serait bien grave pour la démocratie ; l’OPC ou la Fnadac auraient d’ailleurs du mal à l’assumer.

Lorsque Jean-Pierre Saez lui-même écrit que « l’idée des droits culturels est universelle », pourquoi dit-il le contraire en dénonçant un « dogme » qu’il faudrait étouffer ? Il suffit de lire les propos de Mireille Delmas-Marty, de Sophie Guérard De Latour et de Patrice Meyer-Bisch pour comprendre que la référence aux droits humains est un « langage commun de l’humanité », « un opérateur critique… pour débusquer les processus d’oppression », « une grammaire éthique exigeante et concrète de toute politique visant l’idéal démocratique »...

Si cet « idéal démocratique » est un « dogme » illégitime, l’humanité est dans une mauvaise passe ! D’où, en conséquence logique, une troisième et dernière vérité.

Vérité constatée : l’enjeu éthique du travail en commun

Ainsi que le préconisent Amartya Sen dans L’idée de justice et Alain Renaut dans Quelle éthique pour nos démocraties ?, sur lesquels je n’ai jamais cessé de m’appuyer, les droits humains fondamentaux forment une référence éthique universelle : plutôt qu’un dogme, ils constituent des « balises » pour donner sens aux actions. Ainsi, à chaque endroit, à chaque moment, chacun agit à sa façon, au mieux qu’il croit. Mais nul ne peut s’exonérer de vérifier la compatibilité des actions menées avec les balises des droits humains.

Pour mettre en œuvre les droits culturels, il n’y a pas à appliquer un modèle parfait d’actions que le monde entier devrait suivre ! Jean-Pierre Saez l’affirme lui aussi : il n’existe pas de solution pratique toute faite. Pour le dire plus concrètement, ouvrir une ancienne salle des fêtes dans un « quartier populaire », en « co-construisant » le programme d’actions avec « les habitants », ou installer un centre d’art dans un soi-disant « désert culturel », n’offrent aucunement la garantie du respect des droits culturels des personnes.

La seule obligation est d’accepter de discuter ; la seule exigence est de se demander, en commun, à travers des discussions ouvertes, publiques, documentées, si l’action menée a réussi à se rapprocher le moins mal possible de l’idéal des balises des droits humains fondamentaux. Rien de dogmatique dans cette nécessité éthique de la discussion sur l’enjeu universel de faire un peu mieux humanité ensemble !

Il n’est d’ailleurs pas bien difficile, pour un démocrate, de s’engager dans cette voie. La méthode Païdeia, qui permet aux acteurs des collectivités d’analyser en transversalité l’effectivité des huit droits culturels présentés dans la Déclaration de Fribourg, est déjà engagée dans plus de dix départements en France. La région Nouvelle Aquitaine vient également de lancer une vaste réflexion collective : des volontaires vont ainsi discuter des mesures à prendre pour concilier les pratiques de terrain et la liberté de participer à la vie culturelle – liberté définie par l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Pour avoir contribué à la mise en place de la méthode, je veux bien relever le défi du débat public, si toutefois l’OPC et la Fnadac considèrent que cette approche contient la moindre particule de dogmatisme. Pour l’instant, je me contenterai d’un appel au calme : notre démocratie ayant fait le choix de l’universalité des droits fondamentaux, dont les droits culturels, il est insultant de les qualifier de « dogmatiques » ! Ce sera déjà beaucoup pour la sérénité des discussions sur la mise en œuvre effective des droits culturels, « responsabilité conjointe de l’État et des collectivités », selon la loi républicaine.

Doc Kasimir BISOU



Doc Kasimir Bisou, c’est le pseudonyme officiel de Jean-Michel Lucas, personnalité connue pour sa défense acharnée des droits culturels. Docteur d’État ès sciences économiques, Jean-Michel Lucas allie dans son parcours enseignement – comme maître de conférences à l’Université Rennes 2 – et pratique : il fut notamment conseiller au cabinet du ministre de la culture, Jack Lang, et directeur régional des affaires culturelles.

 

 

 

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