La French tech culture : 5 % de culture et 95 % de business ?
Un label urbain réservé aux métropoles les plus compétitives en matière de service aux entrepreneurs peut-il s’adapter à un territoire moins dense mais plus spécialisé ? Culture et business feraient-ils désormais bon ménage ? Comment articuler l’art, l’économie et la culture dans un tel contexte ? Le ministère et les acteurs locaux partagent-ils une même vision ? Tels sont quelques-uns des enjeux de la French tech culture Avignon – Provence.
Un territoire French Tech pas comme les autres
« On a brandé le territoire ». L’anglicisme est de Jean-François Césarini, député de la 1ère circonscription du Vaucluse et membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Ce sujet du développement territorial, notre parlementaire le connaît bien, puisqu’il a réussi – selon lui – un tour de force : l’obtention par un tissu urbain diffus du label « French tech » !
Ce tissu urbain est formé par 200 communes, 10 communautés de communes autour d’Avignon et surtout de la culture. En plus de ses 13 métropoles, la French tech compte des réseaux thématiques, dont un réseau « #edtech #entertainment » auquel appartient désormais Avignon French Tech – mais aussi Arles et Nîmes et bien des consœurs oubliées.
Et la culture, dans tout cela ? Elle « brande » (« marque ») le territoire provençal. C’est elle qui explique l’appartenance au réseau #edtech. En ce sens, la French tech culture est un formidable outil de marketing urbain et territorial. C’est bien l’activité culturelle qui permet de singulariser un territoire leader dans le secteur culturel, et surtout de fédérer 200 communes autour d’un projet économique.
Pont, Palais et festival d’Avignon ne suffisant pas à faire de la cité papale une métropole, il a bien fallu le rassemblement de tous ses voisins, des trésors de diplomatie et un certain travail pour faire reconnaître l’excellence singulière de cette métropole diffuse autour de la culture. Mais sur le site French Tech, il n’est jamais question de French tech culture. Pas tellement plus qu’il n’est question d’« entertainment » sur la page Facebook de la French tech culture Provence, où « La Culture » civilise fièrement ce type d’activités touristiques et lucratives.
Il est intéressant d’observer ici deux approches différentes, qui pourraient révéler au fil du temps des divergences de fond : l’étiquette « #edtech / Avignon », défendue par le ministère et la French tech elle-même, diffère de la vision des députés et acteurs locaux qui préfèrent penser « culture / Provence ».
Se connecter à la culture avec la French tech
Plus concrètement, la French tech culture, comme d’autres métropoles et réseaux thématiques, recèle ses pépites et licornes. Par exemple, « To see or not to see » est une application mobile de recherche personnalisée de spectacles, selon des algorithmes assez pointus et visiblement efficaces : 40 % des utilisateurs ont effectivement assisté à un spectacle, lors de sa phase de test sur six événements à Avignon. Une belle synergie avec l’écosystème local, notamment lors du festival qui, en retour, a su être porteur pour la croissance de cette application.
À partir de novembre, l’appli développe son offre pour couvrir l’ensemble du territoire ; elle nous propose un outil de planification de nos sorties culturelles 100 % personnalisé et adaptatif : le système de notation des spectacles vus lui permettra d’affiner ses recherches. D’autres « start-up » offrent des services complémentaires aux événements, comme des services de billetterie en ligne ou des lunettes traductrices. En clair, les pépites de la French tech nous connectent aux événements. Ils améliorent l’expérience client dans le secteur artistique, facilitent la publicité, la vente et l’accessibilité des spectacles.
Des rapports entre arts, économie et culture
Il apparaît que la French tech culture est une initiative économique réunissant des outils technologiques au service des arts. Il nous faudrait presque ajouter que la French tech est tout entière culturelle, en ce sens qu’elle tisse des relations entre les personnes, qu’elle soit appliquée aux domaines de la santé, de l’éducation, du sport… Or la labellisation culturelle s’adresse finalement ici aux pratiques artistiques liées à Avignon et aux alentours – sans que la distinction entre « art » et « culture » soit bien définie.
Jean-François Césarini nous explique la philosophie de son bébé. Certes, il ne s’agit pas de servir la création. Les innovations portées par la French tech ne sont pas immédiatement au service des artistes. Mais elles sont un moyen de « favoriser l’accès à la culture, de faire venir au spectacle des gens qui ne seraient pas venus sans cela, de mettre en contact le public et l’œuvre. Comme toute politique culturelle, il s’agit de démocratiser l’accès à la culture ». Et de clarifier : « il ne s’agit pas d’art numérique ». Si « culture » et « art » sont de nouveau confondus, la ligne est néanmoins claire.
En somme, la French tech est un état d’esprit : c’est dans ce mouvement que s’inscrivent de nouvelles façons de s’approprier la culture. Par exemple, vous pouvez désormais visiter le Palais des papes équipé d’une tablette de réalité augmentée. Une découverte qui n’est pas réservée aux touristes mais également aux habitants désireux de se réapproprier la poétique des lieux.
Quels objectifs ?
« Culture, Tech, Business »… Un internaute parle de la French tech comme conduit par trois cerveaux (« Triple Brain »), sur la page Facebook de la French tech culture. D’autres appellent de leurs vœux une French tech élargie à d’autres secteurs que celui de la culture, notamment l’événementiel privé. Mais tous avis confondus, créativité et numérique sont les maîtres-mots. En ce sens, l’initiative est un terreau fertile pour les porteurs de projets au service du territoire – terme à prendre dans son sens abstrait, en témoigne l’omniprésence des anglicismes et de la techno-langue mondialisée qui ne disent rien d’Avignon, encore moins des arts et de la culture en Provence.
La marque a permis d’attirer les investisseurs et les bonnes volontés : des formations ainsi qu’une grande école du numérique autour des nouveaux métiers associés ont été créées, permettant à d’anciens « décrocheurs » du marché du travail de devenir « community managers ».
« C’est une politique culturelle et une politique économique… Les deux à la fois ! », martèle Jean-François Césarini. Si la formule est ambiguë, le terme « culture » revêtant finalement un sens très large et rarement précisé, il reste que la labellisation culturelle est surtout facteur de rayonnement économique pour les entreprises. La culture est finalement une « porte d’entrée » pour ce territoire qui compte désormais 6 000 emplois dans le numérique.
Marie MOULIN
Qu’est-ce que la French tech ?
Politique économique lancée en 2014 avec la labellisation de neuf métropoles (quinze aujourd’hui, sans compter les réseaux thématiques), la French tech désigne des métropoles dynamiques, à même d’offrir aux entrepreneurs, chercheurs et innovateurs de tout poil les services urbains utiles à leur développement. Une métropole ainsi labellisée propose des moyens logistiques à ses entrepreneurs, notamment un hébergement.
La French tech est un signal, une marque porteuse de rayonnement pour les collectivités et les entreprises, ainsi qu’un gage de crédibilité auprès des investisseurs. En 2015 et 2016, la French tech s’ouvre à de nouvelles métropoles, essaime et s’exporte, avec des « French tech hubs » dans le monde, au Japon, aux États-Unis, en Israël ou encore au Brésil. Entre signal au marché et soutien logistique concret, la French tech est un outil d’hyper-croissance à même de stimuler l’attractivité et la compétitivité françaises. Cette politique nationale se veut d’abord une réponse aux incertitudes quant à la sortie de crise économique et à la possibilité de retour de la croissance (Larry Summers, 2014), au doute sur les différences de compétitivité en zone euro puis à la confiance dans la reprise, « en marche » vers une start-up Nation.
Elle pourrait également être appréhendée comme une politique territoriale, sorte de résurgence de la volonté de créer des « métropoles d’équilibres », en parallèle des réformes territoriales du quinquennat Hollande.