Jean-François Lepetit : « Il n’y a plus de politique culturelle cohérente en France »
Jean-François Lepetit est un producteur atypique, capable à la fois de nous plonger dans ses souvenirs, entre deux volutes de fumée de cigarette, et d’être l’un des premiers en France à s’intéresser aux écritures transmédias. Entre passé et futur, entre observation réservée du milieu cinématographique et militantisme syndical, il nous livre son regard, tant sur plusieurs sujets d’actualité cinématographique, que sur son parcours et sa société, Flach Film.
Comment êtes-vous devenu producteur ?
J’ai fait des études de socio à l’IUT de Bordeaux, et après quelques boulots, je me suis retrouvé responsable d’une petite fédération de ciné-clubs du Sud-Ouest de la France. On organisait des manifestations culturelles autour du cinéma ; c’est dans ce cadre que j’ai été amené à rencontrer des gens de la SRF. J’ai rencontré un petit distributeur qui s’appelait Tony Molière. Il avait un assistant qui l’a laissé tomber du jour au lendemain pour partir travailler chez Gaumont. J’ai saisi l’opportunité et j’ai travaillé pour lui pendant un an. C’est à ce moment-là que la Fox m’a proposé de venir travailler avec eux. Je suis passé de la gestion de ciné-clubs à la distribution du Retour du Jedi en deux ans ! J’ai eu vite l’envie de créer ma propre boîte. J’ai eu beaucoup de chance : à l’époque Jacques Doillon devait faire un téléfilm et m’avait demandé de le transformer en film de cinéma. Ça s’appelait La Vie de Famille, avec Sami Frey et Juliette Binoche. Je l’ai montré à la Fox et ils ont trouvé ça génial. Ça m’a beaucoup aidé à me lancer. J’avais déjà rencontré Coline Serreau auparavant, qui est venue me raconter l’histoire de Trois Hommes et un Couffin. Le film a eu un énorme succès. Donc tout cela, c’est aussi une histoire de bon timing.
Quel est votre regard sur le Brexit et l’avenir des co-productions franco-britanniques ?
Ce que je constate, c’est que le milieu s’est toujours adapté. Évidemment il faut que les syndicats de production fassent pression sur leurs gouvernements respectifs ou sur la législation européenne pour rendre possible un certain nombre de choses. Il doit y avoir une réponse collective et syndicale. Je pense que ça risque d’être effectivement un peu plus compliqué pour les producteurs anglais, car la sortie de l’Europe va poser un certain nombre de problèmes, comme l’accès aux comptes de soutiens et aux mécanismes d’aides qui, encore une fois, sont exemplaires côté français. Mais nous travaillons dans une industrie de prototypes. S’il y a une industrie capable de s’adapter, c’est celle de la production audiovisuelle ou cinématographique.
« Le véritable problème pour moi aujourd’hui, c’est la dégradation dramatique des conditions de distribution des films. » (Jean-François Lepetit)
Flach Film s’est beaucoup orienté vers le documentaire et les téléfilms depuis quelques années. Pourquoi ?
C’est lié à beaucoup de choses extérieures, mais aussi à ma propre envie. Je prends beaucoup de plaisir à produire des documentaires, non pas pour des raisons économiques, puisque cela rapporte peu, mais parce que je trouve cela passionnant. Pendant longtemps, il y eut des sociétés de cinéma et des sociétés de documentaires. Il y avait peu de gens qui travaillaient dans les deux domaines. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, les jeunes producteurs de cinéma travaillant aussi pour la télévision. L’image de la télévision a changé ; de nos jours, la création vient aussi grâce au développement des séries, à Canal ou ailleurs. Il n’y a plus ce que j’ai connu pendant longtemps, lorsque la production télévisuelle était clairement dévalorisée par rapport à la production cinématographique.
Votre sentiment sur l’élargissement récent du crédit d’impôt aux grosses productions ?
J’ai toujours été favorable au crédit d’impôt. Il est évident que l’on n’a pas d’autre choix que de s’expatrier quand on ne dispose pas de ce genre d’avantages. Même si des films plus gros en bénéficient, je trouve que c’est plutôt une bonne chose. En réalité le problème renvoie à une autre aberration. Il y a longtemps qu’il n’y a plus de véritable politique culturelle cohérente en France, c’est une évidence. Le véritable problème pour moi aujourd’hui, c’est la dégradation dramatique des conditions de distribution des films. Le CNC se réjouit à juste titre du nombre de films produits en France, mais combien de ces films sont marginalisés dès leur mode de production ? On arrive tant bien que mal à les financer, mais ils n’existent plus dans le système économique ; certains n’ont même pas accès aux salles ! Les conditions d’exploitation se sont considérablement détériorées. Dans des villes de province par exemple, vous avez un cinéma UGC ou Gaumont avec 10 écrans. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, 10 écrans voulaient dire 10 films ! Maintenant c’est 20 ! Il y a une contradiction qui nécessite un véritable engagement des pouvoirs publics.
Votre société a innové récemment en lançant un projet axé sur les nouvelles écritures et le transmedia. Qu’en est-il de l’avenir de Flach Film ?
Ma volonté, effectivement, c’est que l’on s’ouvre à des choses un peu nouvelles. C’est en ce sens que l’on a développé cet intérêt pour les nouvelles écritures, même si pour moi c’est un peu de l’hébreu. Que ce soit dans les mécaniques de financement, dans les possibilités qu’ouvre ce genre de format, je suis en train d’apprendre au fur et à mesure que l’on avance. J’espère bien que l’on va arriver à dégager des pistes concrètes dans ce secteur qui est en train de devenir très actif.
Propos recueillis par Maël LUCAS
Cet entretien est présenté dans une version raccourcie pour satisfaire aux exigences d’internet.
En téléchargement : l’entretien intégral avec Jean-François Lepetit.