Ivan Corbisier : un 14e Brussels Film Festival « difficile » et « merveilleux »
En 2002, plusieurs événements entraînent l’arrêt du festival international du film de Bruxelles. Un an après, il est relancé par le producteur Dominique Janne qui le concentre dorénavant sur le cinéma européen : le Brussels Film Festival est né. Quatorze ans plus tard, le plus grand festival de cinéma à Bruxelles continue de tracer sa route, malgré les difficultés budgétaires. Rencontre avec son président actuel, Ivan Corbisier.
Un petit mot, pour commencer, sur la sélection : comment se déroule-t-elle ?
Nous sommes une petite dizaine à visionner chaque année – entre octobre et mai – plus de 800 films, envoyés directement sur notre site ou lors de festivals : Venise, Toronto… Au final, nous en sélectionnons entre 10 et 12 pour le Brussels Film Festival.
Uniquement européen ?
Disons l’Europe élargie, et pas seulement de la Communauté européenne, sous peine d’exclure des pays comme la Norvège et la Suisse. Il nous arrive même parfois d’en sélectionner l’un ou l’autre venant de Russie ou de Turquie.
Il est beaucoup question de restrictions budgétaires de nos jours : qu’en est-il pour vous ?
Nous avons un budget qui tourne autour de 500 000 euros, avec les différents partenariats. En trois ans, nous avons perdu 1/3 de notre budget cash, soit 100 000 euros de liquidité : la Communauté française a réduit sa subvention de 50 %, la Loterie nationale – partenaire depuis toujours – ne nous verse plus rien…
Je ne comprends pas que Bruxelles, cœur de l’Europe, ne se donne pas les moyens d’un plus grand festival…
Moi non plus. Nous avons moins de budget que Namur… Mais c’est parce que, en Belgique, tout est très politisé : Mons a un festival grâce à Elio Di Rupo, bourgmestre et ancien Premier ministre du pays ; il savait où récupérer l’argent public. Le bourgmestre socialiste de Namur a également fait ce qu’il fallait pour grappiller des sous aux endroits appropriés. Cela n’enlève évidemment rien à la qualité ou non de ces festivals.
Le prix de l’indépendance en somme !
Nous n’avons pas de soutien politique attitré. Nous souhaitons rester indépendants et ne devons rien à personne. La difficulté est que notre temps est bouffé par la recherche de subsides, de plus en plus difficiles à obtenir. Pour tout vous dire, je n’ai toujours pas reçu la première tranche des subsides principaux, alors même que le festival a commencé. Ça devient ingérable !
L’existence du festival est-elle menacée ?
Oui, bien sûr. Quand on perd un tiers du budget, tout devient étouffant. Ce n’est pas comme si on avait 5 millions de budget ! C’est sans fin : nous avons déjà constitué notre dossier de demande de subsides pour l’année 2017 auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
L’édition 2016 du festival est pourtant belle…
Et nous en sommes heureux ! Par rapport à l’argent récolté, ce que nous parvenons à faire est merveilleux : faire venir Volker Schlöndorff et Guy Bedos en invités d’honneur, avoir une compétition de qualité avec des films comme A Good Wife de Mirjana Karanovic ou Toni Erdmann de Maren Ade, qui a fait sensation à Cannes il y a peu…
Cannes où l’on s’attendait à ce qu’il reçoive un prix.
C’est invraisemblable que le jury soit complètement passé à côté d’une telle œuvre ! Les membres du jury devaient être tous autistes. Je trouve incompréhensible qu’ils aient récompensé Ken Loach. Son film est bien, mais pas mieux que les autres : il sait traiter avec humour d’une grave question sociale. Nous le savions déjà ; bref, il est en fin de carrière et ne se renouvelle plus.
Un choix politique au détriment de l’artistique ?
Cannes est le plus grand festival du monde ! Il a une telle aura qu’il pourrait faire n’importe quoi. Leur sélection cette année relevait de la blague : Ken Loach, Pedro Almodovar, Park Chan-wook, les frères Dardenne… La sélection s’est en partie faite sur des noms ! Il ne serait pas étonnant d’apprendre qu’elle a eu lieu avant que certains films présentés soient terminés. C’est qu’il leur faut du beau monde pour assurer la montée des marches ! Alors on sélectionne le petit Personal Shopper d’Olivier Assayas, pour avoir Kristen Stewart. Ils ne prennent plus aucun risque dans la compétition officielle ; et dans tout cela, l’art y perd.
L’innovation de cette année, c’est la « fête à… » Guy Bedos.
Ce fut un moment magnifique : nombreux sont ceux qui ont fait le déplacement, dont Jean-Paul Belmondo, Michel Boujenah, Mohamed Fellag, Alex Vizorek, Fabrizio Rongione… Michel Drucker et Pierre Richard ont également participé à leur manière. Guy Bedos était très ému. Notre « fête à » est destinée à devenir un événement incontournable du festival, en plus de la rétrospective consacrée à un réalisateur majeur du cinéma européen.
On sent un climat tendu à Bruxelles, avec policiers et militaires régulièrement présents devant l’entrée. Cela joue-t-il sur le festival ?
Nous jouons de malchance cette année, entre les alertes d’attentat, les grèves à répétition et l’Euro de football : un match des diables rouges a eu lieu pendant la leçon de cinéma de Volker Schlöndorff ! Il y eut peu de monde pour l’écouter alors que le soir, toute la cinémathèque étaient remplie pour le lancement de la rétrospective. L’armée a débarqué hier soir pour sécuriser les lieux… c’est vraiment pesant et difficile pour le Brussels Film Festival. Heureusement que le public répond présent aux grands rendez-vous !
Quels sont les projets en cours ?
Nous aimerions avoir une visibilité durant toute l’année, sous forme d’une journée de festival, répétée deux ou trois fois entre septembre et juin : séances scolaires dans la matinée et en début d’après-midi, suivies d’une séance seniors en milieu d’après-midi, enfin un ou deux avant-premières dans la soirée. Une manière de résumer le festival en une journée ! Notre autre chantier concerne le développement des partenariats avec les festivals étrangers ; c’est le cas en Pologne, en Roumanie, en Angleterre et en Autriche.
Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER
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Crédits photographiques : Pierre Gelin-Monastier