David Bowie : une conception géniale de l’art total
Trois jours que David Bowie est mort, trois jours que les hommages envahissent les médias et les réseaux sociaux. Le chanteur et compositeur est sans conteste l’un des phénomènes majeurs de la scène musicale depuis plus de 40 ans. Mael Lucas, jeune cinéaste et chroniqueur à Profession Spectacle, recueille à son tour l’héritage de ce gigantesque concepteur de « l’art total ».
David Bowie nous a quittés.
Il est difficile de savoir comment rendre hommage à David Bowie, des centaines, des milliers d’éditos s’en chargeant déjà. Je peux simplement reconnaître que son décès me touche personnellement : Bowie était une figure plus qu’importante dans ma culture musicale ; ses mille facettes semblaient me parler à travers le maquillage, les planètes et la musique. J’ai parfois pris comme pseudonyme Kamelion : je ne renie pas la fascination que ce métamorphe génial, dont l’identité s’est exprimée à travers autant d’alter-ego (Major Tom, Ziggy Stardust, Halloween Jack, The Thin White Duke, Pierrot…), exerçait sur moi.
D’aucuns ne sauraient le résumer à son travail musical. David Bowie était un fantôme de l’art, passant de pièce en pièce en soufflant une influence discrète mais indéniable sur des générations d’artistes. Sa musique était théâtre, son corps, changeant et son âme, multiple.
Multiples voix, multiples influences, multiples hommages, multiples morts. Combien d’entre les étoiles rêveraient de faire de leur mort même un feu d’artifice, une ultime bravade, une dernière scène ? Bowie laisse quelques jours avant sa mort un album que tout le monde s’accorde à considérer comme sa meilleure création depuis longtemps. « Un dernier cadeau », comme beaucoup le disent ? Oui, il suffit de l’écouter, de regarder les images qui le parcourent pour comprendre qu’il n’y avait pas d’autre fin possible.
« David Bowie était un fantôme de l’art, passant de pièce en pièce en soufflant une influence discrète mais indéniable sur des générations d’artistes. »
Corps et musique en mouvement, David Bowie était le théoricien de l’identité changeante. Son génie réside dans ses variations, dans un renouvellement permanent qui a ceci de particulier qu’il provoque la surprise à chaque nouvelle peau, tout en donnant l’impression que chacune est totalement maîtrisée, évidente. Caméléon ? Extra-terrestre ? Peut-être un peu. C’était comme si, loin d’être une recherche de sa part, ses apparitions successives ne nous étaient offertes que parce que nous étions prêts à l’une mais pas encore à la suivante. Si David Bowie inspirera toujours par sa musique, c’est sa manière de concevoir l’art « total » qui fait de lui une légende, jusque dans sa mort.
Cette manipulation des ressorts qui dirigent une carrière artistique s’est exprimée en autant de provocations. Les caractères de ses flamboyantes facettes ont toujours été parcourues d’indices sur ses souffrances personnelles. En premier lieu, évidemment, l’histoire tragique de son frère handicapé mental, Terry, qui se suicidera en 1985 et qui inspirera de sublimes chansons, telles que « The Bewlay Brother » et « Ashes to Ashes ». Ambiguë aussi sera sa bissexualité, pas toujours assumée, ni même évidente, alors que ses personnages androgynes semblaient porter si haut le potentiel symbolique et artistique du travestissement.
« The stars look very different today », « Ashes to Ashes », « Look up here, I’m in Heaven »… Il n’est pas difficile de trouver des titres pour lui rendre hommage ! La fascination pour un phénomène artistique reprend ses droits là où Bowie s’était fait discret depuis quelque temps. Tant mieux. À notre charge de rendre son héritage à la mesure du personnage.
Maël LUCAS